La conteuse
Il faut que je vous dise un mot de ma belle-soeur Bernadette (Henry), native de Honfleur dans le comté de Bellechasse, qui a enchanté mon enfance en me racontant pendant des années, jour après jour, l’un ou l’autre des dizaines de contes qui composaient son répertoire. Raconter une histoire tout en maintenant l’attention de l’auditeur, ménageant judicieusement les effets, les intonations, les pauses, les silences, les hésitations, en imitant les voix des personnages, humains ou animaux, est un art qu’elle possédait au plus haut point. Cet art consommé, elle l’avait héritée de sa mère (Albertine Labonté), me confia-t-elle un jour. Je ne me fatiguais pas de l’écouter et, chaque après-midi, malgré la défense de maman qui craignait que je l’ennuie, je passais la porte du logement qu’elle occupait avec mon frère dans la maison paternelle, pour lui quêter une autre histoire…
C’est en 1944, deux ans après ma naissance, que Maurice l’avait épousée, en même temps qu’Adrien, lui avec sa soeur Jeannette. Mais, j’ignore pour quelle raison, - la pudeur étant de mise à l’époque sur ces «sujets» - Bernadette éprouva quelque difficulté à connaître les joies de la maternité, malgré son amour des enfants. Aussi, elle reporta sur moi son affection, jusqu’à ce qu’elle mette au monde son premier enfant, en 1949. Et. pendant ce temps, je bénéficiai de ses attentions et de sa patience quotidienne. Je me plais à répéter que, chanceux, j’ai grandi entre deux mères, la mienne, Eugénie, bonne comme le bon pain, généreuse, aimante, mais déjà âgée d’une cinquantaine d’années - m’ayant donné le jour à l’approche de ses quarante-huit ans -, et Bernadette qui m’affectionnait et se prêtait à tous mes caprices.
Malgré ma mémoire qui s’effiloche, j’ai encore souvenir de quelques-uns de ces contes issus de notre folklore ou tirés des classiques universels accommodés à la sauce québécoise. Il y avait, bien sûr, Le Petit Poucet et le méchant ogre que le petit bonhomme pas plus haut que le pouce bernait pour empêcher ses frères d’être dévorés tout crus en s’emparant de ses bottes de Sept-lieues… Quel suspense! Il y avait aussi Ti-jean*, cet astucieux jeune homme, dont la mère habitait une maison voisine du château du roi. En lui jouant des tours plus scabreux les uns que les autres, il réussissait à s’en débarrasser définitivement. Je m’en rends compte aujourd’hui, la morale la plus élémentaire était bafouée, car, dupé par le rusé et un brin malicieux Ti-Jean, c’est en se jetant à l’eau pour récupérer un troupeau de vaches (!), que le pauvre roi se noyait, abandonnant ses biens au garçon et à sa pauvre mère. À quatre ou cinq ans, j’étais initié à la lutte des classes! Le génie du bon peuple québécois contre les exploiteurs, à cette époque la royauté et la noblesse!
Je me rappelle de quelques autres dont Mademoiselle LaFine, Le Bonne femme Doiron (passablement épicé par moments!) et Le boulanger qui faisait monter l’un après l’autre dans sa voiture les animaux rencontrés en chemin (réplique librement adaptée des Musiciens de Brême)… C’était avant que les images animées n’envahissent les foyers et qu’il fallait recréer dans nos têtes d’enfants les scènes décrites par la conteuse.
Un jour, devenu adulte, j’eus l’idée d’enregistrer Bernadette en train de raconter ces merveilleux contes pour en faire bénéficier la postérité. Mais c’était à l’époque des enregistreuses à bobines dont il existe de moins en moins d’exemplaires. Et puis, oh malheur, j’avais utilisé une de ces machines (Uher) dont la vitesse d’enregistrement n’est plus supportée par les appareils modernes. Ayant négligé de réviser et de transposer le format des documents en temps opportun, je me retrouve le bec à l’eau, ne pouvant compter que sur ma défaillante mémoire!
Bernadette aimait aussi chanter et possédait une jolie voix. Parfois, un soir d’hiver, elle entrainait mon frère Maurice - qui n’avait pas une vilaine voix, lui non plus - à chanter en duo avec elle quelques chansons traditionnelles: Il était un petit navire, L’hirondelle, Ferme tes jolis yeux, Le toit de chez nous, La cabane à sucre et quelques autres puisées dans les albums de La bonne chanson. Et je les écoutais, toujours un peu ému. C’était juste après la fin de la deuxième guerre mondiale alors que le poste de radio fonctionnait à l’aide d’une énorme pile, car nous n’avions pas encore bénéficié de l’électrification rurale!
Et, à quelques reprises je l’ai entendue chantonner des airs peu connus - que je n’ai d’ailleurs pu retrouver nulle part, malgré mes recherches dans Internet -, dont je n’ai retenu que les bribes suivantes:
1. Celle-ci, un peu polissonne, un brin licencieuse, susceptible d’offenser les âmes prudes de ce temps-là, dont je n’ai retenu que les deux premiers couplets (texte approximatif):
C’est Ti-Pierre Godin qui boit du thé avec ma femme,
Ah! oui, je le sais bien!
Mais moi, trop bête,
Les larmes aux yeux,
Je lave la théière comme un torrieu!
C’est Ti-Pierre Godin qui couche avec ma femme,
Ah! oui, je le sais bien!
Mais moi, trop bête,
Les larmes aux yeux,
Je couche avec la servante comme un torrieu!
2. Cette autre, amusante, qui avait probablement une suite jusqu’à la lettre z… (texte approximatif) Comme une comptine en fait pour apprendre l’alphabet?
Quand j’allai voir Mina
A, a, a,
J’ai senti mon coeur flamber
B, b, b,
J’ai voulu l’embrasser
C, c, c,
Sur son p’tit museau fardé.
A, b, c, d.
Si quelqu’un, parmi nos lecteurs, connaît les paroles de ces deux chansons, je lui serais reconnaissant de me les transmettre à mon adresse de courriel.
Il y avait encore celle-ci, folichonne, au style amphigourique et amphibologique, intitulée Zozo, dont j’ai retrouvé les paroles dans Internet. En voici d’ailleurs le premier couplet.
Je suis Zozo par mes actions comiques
Je fais parler de moi depuis z-onze ans
Je suis le fils de mon seul père unique
Et pour le sûr aussi ben de mouman
Un jour, la nuit, cette bonne Valère
Tomba malade, mon père me dit: Zozo
Va vite chercher du bouillon pour ta mère
Qu'est ben malade là-bas dans un p'tit pot.
Paroles de Zozo:
https://www.paroles-musique.com/paroles-Conrad_Gauthier-Zozo-lyrics,p91914
* Sa version de ce conte était unique. Malgré mes recherches dans des ouvrages spécialisés en la matière, je n’ai pas trouvé l’équivalent.
Merci à l’avance.
Marcel Chabot, mai 2018