Vers et rimes


Ainsi soit-il


Vient un moment

On y pense

Quand la vie coule

Entre les doigts

Clepsydre implacable

Au grand Rien

Quand nous ne serons plus

Et que le monde même

Sera ainsi aboli

Disparu de la conscience

Ce sentiment

C’est cela qui agace

D’imaginer

Que le monde

Continuera sans nous

À tourner, s’agiter

Que les autres

Ceux qui restent

Joueront leur sempiternelle

Danse macabre eux aussi

Vers l’inexorable destin…


Ça serre la gorge

Et le cœur dompte

Son battement

Le cerveau, lui,

S’insurge contre 

Cette insoutenable pensée

Grand Manitou

De tous les sens

Du moindre clignement

Acteur et maître

De toute sensation

Sentiment, émotion

Quelque nom qu’on lui donne

Amour ou amitié

Détestation, haine ou mépris

Alors que cela semble futile

Des mots, des mots

Lorsque la vie tourne en poussière

Qui bientôt va engraisser

Les fleurs mortuaires


Inutile d’y songer

De se laisser ronger

Par cette contingence

Quand le sort est jeté

Alea jacta est

Comme l’a dit César

Ainsi soit-il!


Ce qu’il y aurait à dire

Encore

Sur la terreur commune

De notre finitude

Alors que

Programmée elle l’est

Dans le calendrier universel

D’un temps 

Que la bestiole humaine

Ne peut même imaginer

Tant sa compréhension

Est aussi limitée que sa fatuité

Parce qu’elle sait créer

Parasites, ces puces

Qui prêtent intelligence

À ces machins-machines

Qui pensent à notre place

Prêts à nous évincer

Mais menacés aussi sont-ils

Leur longévité s’amenuise

Comme le fil sur lequel on tire trop

Deux années, trois années

Et ils sont emportés 

Par l’obsolescence

Savamment planifiée aussi

Et toutes leurs dépouilles

Qui vont combler encore

Les masses de gravats

Hautes comme des montagnes

Symbole incontesté

De cette faculté

Dont l’illustre bipède

Se vante d’être investie

Et je leur survivrai!

Ainsi soi-il!


Marcel Chabot, 15 avril 2023