Histoire d’arc et autres réminiscences
Le souvenirs sont comme les feuilles à l’automne… Elles se détachent de l’arbre, tourbillonnent un moment avant d’être emportées, et parfois après un long envol, se déposent mollement… Il m’arrive de me pencher pour en glaner une, sans raison particulière, juste parce qu’elle a attiré mon attention… et voilà où cela peut mener… Pêle-mêle, une collection de souvenirs…
C’était il y a soixante ans (Ben oui! et juron!)… j’étais fasciné en ce temps-là par les histoires de cowboys et d’indiens, probablement inspiré par le lecture de fiches contenues dans les boîtes de céréales Nabisco* qui présentaient des images et des textes sur les peuples autochtones, étatsuniens surtout. Toujours est-il qu’un jour je voulus imiter mes héros d’autrefois et me construire un arc et des flèches. Je fis quelques essais peu concluants, car mon habileté et ma patience, surtout, étaient plutôt limitées. Mon frère aîné, Maurice, témoin de mes échecs, m’offrit de me confectionner un arc véritable en frêne, un bois souple et maniable, qui. selon lui, était idéal pour la fabrication d’un tel objet. Et, comme exprès, il y en avait quelques morceaux dans le grenier du hangar tout prêts à être utilisés (Il se servait de cette essence pour fabriquer le cadre des raquettes qu’il confectionnait à l’occasion.). Ayant choisi la pièce idoine de la longueur voulue, il traça le dessin d’un arc parfait convenant à ma taille. Mais comme il ne possédait pas la scie à chantourner pour accomplir la découpe, il m’amena au village, chez l’oncle Wilfrid, qui encore, à un âge avancé, exploitait un atelier de menuiserie situé derrière sa demeure. Toujours bonhomme et complaisant, il s’exécuta avec soin, mais sa dextérité laissant à désirer, il s’écarta un peu de la marque tracée. Une fois corrigée par le sablage, la petite entaille devrait disparaître. C’est donc heureux comme un grand chef que je revins à la maison, impatient d’expérimenter cette arme magnifique. Aussi excité que moi, Maurice la munit d’un nerf de bœuf qu’il avait déniché je ne sais où. Habile de ses mains, il avait aussi, entre-temps, confectionné quelques flèches véritables avec une pointe ferrée et des ailerons de plume. J’étais prêt à prendre le chemin de la guerre et à combattre mes ennemis.
Brève parenthèse… L’oncle Wilfrid (Couture-1881-1962) avait épousé, en première noce, Joséphine Chabot (1883-1920), la sœur de mon père Alphée. Décédée jeune, à l’âge de 37 ans, elle laissait à son mari leurs huit enfants. Trois ans plus tard, en 1923, Wilfrid épousait Philomène Goupil. Mais il semble que cette belle-mère, au caractère revêche, disait-on, rebuta vite les enfants. Comme une séparation ou un divorce n’étaient pas envisageables à cette époque, les uns et les autres partirent s’établir loin, pour certains en Abitibi.
Après leur mariage, en 1905, le couple Wilfrid-Joséphine habitait une maison du rang 5, aujourd’hui (en 2022) la propriété de Michel Labbé, le fils de Benoît-Omer. Mon père Alphée, âgé d’une dizaine d’années, qui résidait avec ses parents, Pierre et Aurélie, dans la maison voisine, allait rendre rendre visite à sa grande soeur presque tous les jours. Plus tard, celle-ci se plaignait à maman (sa belle-sœur depuis 1918) que, taquin, ce jeune frère aimait agacer ses enfants, ce qui l’énervait. Cela dit, elle devait apprécier, cette jeune maman aux multiples maternités, sa présence, mais aussi, l’aide et l’encouragement de sa belle-sœur Eugénie, et évidemment de sa mère Aurélie, toujours dévouée pour sa marmaille.
Autre fétu de souvenir… Au début des années1960, ayant abandonné mon cours classique et vivant momentanément avec mes parents dans leur petite maison de la rue de la Fabrique j’ai eu l’occasion de voir de près cette tante Philomène, mal aimée. Elle demeurait toujours au même endroit dans la grande maison de la côte du village, avec sa sœur Alma, les deux presque centenaires. Elles avaient eu besoin de mes services pour déblayer leur galerie et l’accès à leur cour.
Et le temps filant, une autre feuille morte froissée et rongée par la rouille, voletant péniblement, a atterri sur mon épaule… Mais les souvenirs sont capricieux et ne se préoccupent pas trop de la fuite du temps… Ce devait être au milieu des années 1950. J’avais passé l’année au collège, pensionnaire, et j’étais en vacances pour l’été. Mon frère Maurice avait commencé la démolition d’une vieille maison qu’il avait acquise de l’oncle Wilfrid (si ma mémoire ne défaille pas) et située à côté de la sienne. Pendant quelques jours, avec papa Alphée, je crois, nous avons trimé à défaire la bâtisse planche par planche, pièce par pièce, avec attention et méticulosité, car le bois ainsi récolté devait servir à construire la maison projetée sur la rue de la Fabrique. Ce qui fut fait.
Cette maisonnette rasée jusqu’à terre aurait été celle ayant appartenu aux frères Ruel, les photographes. Dans les pièces du grenier qu’on dégarnissait de leurs boiseries, on a d’ailleurs trouvé quelques vieilles photos de zinc. J’étais adolescent et je n’ai pas eu la curiosité de m’informer de la raison de cette démolition. Je suppose que cette maison devait être abandonnée et qu’elle a été cédée à mon frère pour une bouchée de pain, comme on dit. Était-ce celle-là qu’avait habitée une certaine Léa Ruel, dont j’ai souvent entendu le nom dans mon enfance? Cette dernière avait-elle un lien de parenté quelconque avec les deux frères photographes? Qui pourrait de nos jours répondre à ces questions? Mon frère André? Ma soeur Jacqueline?. Il faudrait que je leur pose la question.
Pour en revenir enfin à mon arc fameux… Ma déception fut immense (et celle de mon grand frère aussi), car la toute première fois que je l’ai tendu, la branche supérieure, celle qui avait été amincie pour masquer la taille défectueuse, craqua comme une allumette. Les larmes aux yeux, je restai longtemps figé comme une statue, me croyant responsable de ce désastre. Voyant mon désarroi, Maurice me consola, m’expliquant que le bois avait ses secrets et que, malgré les précautions qu’on pouvait prendre, un bris était toujours possible. Lui, qui avait fabriqué de nombreux cadres de raquettes, avait essuyé plusieurs échecs alors qu’il tentait de plier des baguettes de frêne soumises à la vapeur. Je l’avais d’ailleurs vu accomplir cette tâche délicate avec Adrien, un autre frère industrieux.
* J’ai retrouvé dans Internet des reproductions de ces fiches (ou cartes) publiées entre 1949 et 1952 par Nabisco sheddred wheat (série portant le nom de Straith Arrow cards) et insérées dans les boîtes de céréales, celles ressemblant à de petits pains et que maman achetait parce qu’elles avaient la réputation d’être nourrissantes. Elle me les servait avec du lait. En voici quelques exemples parmi celles qui ont probablement nourri mon imagination à l’époque où les livres et les occasions de lecture étaient aussi rares que des déjections papales. Je n’arrive pas à me souvenir toutefois si les textes accompagnant les images étaient traduites en français. Je suppose que oui. En 1949, en deuxième année, je savais déjà lire assez couramment.
Marcel Chabot, 14-02-2022