Le bas-côté


Il est toujours là, à peu près tel il était dans mon enfance, accroché à la maison, côté nord, arrimé sur quelques pilotis plantés dans le sol. Mon neveu Charles-Henri, le propriétaire, a toujours eu le souci de garder intacte cette pièce unique de notre patrimoine familial.


Durant les journées chaudes d’été, c’est là que nous prenions tous nos repas en famille. C’est sur le gros poêle Bélanger que maman ou Bernadette cuisaient les aliments. Je me souviens surtout des tartes aux fraises des champs en juin et aux bleuets, en août et septembre, arrosées de bonne crème épaisse que maman nous servait. À cette époque, elle boulangeait encore chaque semaine. De grosses tranches de pain badigeonnées de bon beurre frais (il lui arrivait encore souvent à cette époque de baratter la crème de nos vaches pour en faire) qui dégoulinait, quel régal Dans un coin, près d’une grande armoire qui servait de garde-manger, il y avait toujours un cent (sac de 100 livres) de fleur (farine) et de sucre. À l’autre extrémité, un lavabo de fonte, probablement installé là quelques années auparavant par les aînés de la famille, Maurice et Adrien. Durant la saison d’hiver, c’est dans cette pièce que l’on conservait la carcasse gelée et dépecée du cochon qu’on sacrifiait pour les festins du temps des fêtes.


C’est dans ce bâtiment que j’ai eu la peur de ma vie, un jour d’orage, alors que j’avais 6 ou 7 ans. Comme le tonnerre grondait, que les éclairs sillonnaient le ciel, je me suis réfugié là alors que les adultes, dont maman, étaient à l’étable en train de vaquer à la traite des vaches. C’est alors qu’un violent orage s’abattit et que la foudre tomba sur un poteau électrique, tout près, auquel était fixé un transformateur. Sur le coup, je crus que j’étais mort, tout mon corps étant assailli par des millions de petites aiguilles. J’avais vu la porte de «screen» (grillage) s’illuminer telle une apparition. Je restai ainsi éberlué pendant de longues minutes jusqu’à ce que maman, qui avait entendu la décharge, arrive en trombe. Elle a été rassurée en constatant que son petit Marcel était sain et sauf.  Elle avait rapporté un seau de lait, car c’est encore dans cette pièce que se trouvait l’écrémeuse manuelle qui servait à séparer la crème du petit lait.


C’est un miracle que ce bas-côté soit encore debout! Au moment où une violente tornade (ce devait être en 1926, mon frère André était au berceau) avait emporté l’étable et abîmé considérablement le mur nord de la maison. La violence du vent l’avait arraché et projeté à quelques centaines de pieds plus loin, dans le jardin. Tout était sens dessus dessous à l’intérieur, le poêle, la table, les bancs, l’armoire et les ustensiles de cuisine. Probablement avec l’aide de voisins généreux et secourables, papa le ramena en place où il se trouve toujours (en 2021) sur ses ancrages de fortune.


Marcel Chabot, janvier 2021

Le bas-côté est le bâtiment en pente accolé à la maison, côté droit, dont on aperçoit l’unique fenêtre.