Adrien : une histoire de renards
Quand je suis né, le 30 septembre 1942, mon frère aîné Maurice (20 mai 1919) était âgé de 22 ans et mon frère Adrien qui le suivait dans la fratrie (2 septembre 1920) en avait 21. Leur petite enfance sur la terre paternelle fut certainement calme et paisible dans un milieu pauvre mais sans privations, car les parents veillaient au grain, Alphée travaillant comme un forcené pour tirer du sol la pitance de ses animaux, et Eugénie s’efforçant de nourrir et de vêtir tout le monde avec le peu qu’on pouvait se procurer. Mais je crois qu’on vivait heureux dans ce dénuement ordinaire. Quels étaient leurs amusements et leurs jeux? Certainement des objets usuels du quotidien, car la mode des jouets aux Fêtes ou aux anniversaire n’existait pas encore. Mais les deux frères étaient remplis d’énergie et d’imagination et ne devaient pas s’ennuyer, courant partout autour des bâtiments au milieu des poules en liberté, des cochonnets et des agneaux, se méfiant du bélier qui n’avait qu’une idée, les bousculer. La ferme était leur royaume.
Puis il fallut bien aller à l’école. Le père d’Eugénie, comme celle d’Alphée, croyaient beaucoup à la valeur de l’instruction, le meilleur moyen de permettre à leurs enfants de sortir du marasme et de la misère de la vie d’habitants. Dociles et bien préparés par maman Eugénie qui avait réussi chez les bonnes sœurs la scolarité requise pour devenir maîtresse d’école, ils furent certainement de bons élèves, apprenant à lire, à compter, à calculer, la règle de trois, les tables jusqu’à 12, l’histoire du Dominion, le Canada, partie du grand empire Britannique, la géographie du Canada (les provinces et leur capitale), un peu celle des états du pays voisin, sans oublier l’histoire sainte et, surtout, les 700 réponses aux questions du Petit catéchisme que l’on devait connaître par cœur avant la fin de la septième année (après avoir «marché au catéchisme» au village alors que le curé vérifiait si chacun et chacune avaient bien retenu toutes les notions enseignées depuis la première année). On peut supposer qu’ils ont obtenu facilement le Certificat d’études décerné par le Département de l’Instruction publique.
Ils avaient douze et treize ans. À cette époque, il fallait déjà songer à l’avenir. Pour Maurice, qui partageait déjà avec son père à peu près toutes les tâches coutumières (traite des vaches, nourrissage et écurage des bêtes, même le labourage et le hersage des champs, la coupe et le ramassage du foin), parce que contrairement à ce dernier, il aimait le contact avec les animaux et avait un intérêt naturel pour l’agriculture. Ce qui n’était pas le cas d’Adrien dont les goûts et les habiletés étaient orientés vers la construction. Il était imaginatif et industrieux, la tête toujours pleine de projets, parfois sensés, quelquefois farfelus. Il faisait souvent rager son père parce que toujours en train de fignoler un autre de ses «chefs-d’œuvres», il empruntait l’un de ses outils toujours soigneusement entretenus. Inlassable, toujours en mouvement, il entraînait son frère aîné, et parfois ses sœurs Rita ou Jeanne, encore toutes jeunes, dans des jeux ou des aventures pas toujours de tout repos (c’est Rita qui raconte qu’il l’a blessé à la jambe alors qu’elle l’aidait à bricoler quelque brillant machin).
C’est probablement ainsi, que voulant se libérer des travaux de la ferme qui le rebutaient, il eut l’idée de posséder un élevage de renards à fourrure. Il y avait, au village, un certain Joseph Goupil, dit Jos Goupil aux renards, travailleur d’élection assez aisé, qui avait fait de bonnes affaires dans le commerce des peaux de ce petit carnassier. Adrien alla certainement le consulter et lui poser des questions avant de se lancer dans l’aventure. Puis, quand il demanda conseil à son père Alphée, celui-ci toujours prudent et circonspect le mit en garde contre toutes les difficultés qu’il allait rencontrer : l’achat des premières femelles, la construction des enclos, l’apprentissage des mœurs de ces bêtes jugées difficiles à maîtriser… Sans vouloir le décourager, il voulut qu’il soit bien au fait des défis qu’il aurait à relever. Mais Adrien était un jeune homme résolu qui ne désarmait pas facilement. Il se tourna donc vers sa grand-mère Aurélie qui, elle, fille de commerçant, ne craignait pas de foncer, de suivre sa voie. Surtout qu’elle avait un faible pour ce garçon qui lui ressemblait tant en raison de son énergie débordante et de sa détermination sans bornes quand il avait une idée dans la caboche. Elle ne se fit donc pas prier pour lui prêter l’argent qu’il fallait pour se procurer les premiers individus de son élevage et les matériaux nécessaires à la construction des enclos. Elle savait qu’avec un peu d’aide de son frère Maurice, déjà habile à bâtir hangars et granges, ils s’acquitteraient de cette tâche sans problème. Grand-mère Aurélie, liseuse invétérée, soucieuse de l’aider, s’est souvenue d’avoir lu, dans le Soleil, quotidien auquel elle était abonnée depuis toujours malgré son coût prohibitif, un petit message qui annonçait la parution d’un traité très complet sur l’élevage des renards. Si elle avait bonne mémoire, il contenait une dizaine de chapitres couvrant autant de sujets, de la construction des enclos, jusqu’à l’écorchage et à la préparation des peaux, en passant par les soins à apporter lors de la mise bas. Elle s’empressa de le commander au magasin général. Ce serait là son appui à la réussite de ce projet.
Aussitôt le bois coupé et scié, les matériaux rassemblés, les enclos et les cages furent achevés dans un temps record, grâce aux renseignements et conseils trouvés dans L’indispensable, le fameux traité de Johan Beetz, un éleveur de grande expérience, paru aux éditions Beauchemin en 1930. Mais le plus difficile était à venir : se familiariser avec les deux premières invitées, étudier leur comportement, les rassurer, les apaiser, dans la mesure du possible, considérant que malgré tous les efforts elles demeureraient toujours sauvages, indomptables, un peu traîtresses. Mais Adrien avait l’étoffe et l’attitude voulue pour les mettre à sa main. Il avait ce don rare de leur parler et de leur faire sentir qu’il était à la fois leur maître et leur bon génie. En peu de temps il put franchir la porte de leur enclos sans susciter leur glapissement et leur crachement de colère. Elles mirent un terme à leur jeûne et commencèrent à avaler leur pitance sans frissonner de peur. C’était une première bataille gagnée, importante pour l’avenir.
Adrien était un novice. Il avait tout à apprendre. Une fois les femelles acclimatées, il fallait les surveiller attentivement pour déceler le moment du rut, selon leurs agissements et leurs comportements en cette occurence. Il se pouvait que le mâle soit parfois réticent à approcher une jeune femelle craintive ou apeurée par une présence étrangère. Il faut supposer qu’il comprit rapidement comment agir, car les deux femelles se trouvèrent gravides en temps opportun.
Le temps passa et il dut avoir un certain succès, car il n’abandonna pas. Une fois les premières portées de renardeaux rendues à maturité, il fallait les occire proprement et les écorcher avec soin, délicatement sans abîmer les peaux. Et cette opération terminée, il fallait dégraisser ces peaux à l’aide d’un outil conçu pour cet usage. Opération malaisée aussi, car le prix payé par le grossiste était évalué selon la souplesse des peaux. Une fois punaisées sur des moules (planchettes dont l’une des extrémités étai taillée en triangle), on badigeonnait la fourrure avec du son pour la lustrer. Je me souviens que Bernadette, l’épouse de Maurice, s’adonnait à cette tâche au grenier. Il devait en être de même pour Jeannette, l’épouse d’Adrien.
Mais ce petit élevage n’occupait pas Adrien à temps plein. Travailleur, ingénieux, astucieux, il consacrait ses temps libres à cent petits boulots dans les alentours. Habile de ses mains, il pouvait construire ou réparer granges, hangars et autres bâtiments. Fonceur, rien ne lui paraissait impossible malgré son jeune âge. La mécanique l’intéressait aussi et il ne se passa pas beaucoup de temps avant qu’il succombe à la tentation de posséder une automobile. Obtenir un permis à l’époque ne semblait pas une affaire très compliquée. Si ma mémoire est fidèle, la première qu’il posséda était une Essex. Une de ces bagnoles à la carrosserie carrée, imposante. Est-ce celle-ci qu’un peu plus tard il transforma en camion, sectionnant le toit et le rabattant derrière les sièges avant. Muni d’une boîte de bois fixé sur le châssis, ce véhicule servait à transporter les os (voir le texte Histoire d’os dans la section Anecdotes) et les morceaux de viande non comestibles qu’on allait chercher dans les boucheries des villages avoisinants. On permettait même à Roger, encore adolescent, qui trépignait d’impatience, de prendre le volant pour quérir cette boustifaille bon marché. Il n’avait certainement pas de permis de conduire, mais en ce temps-là les policiers ne couraient pas les chemins et devaient faire preuve d’une indulgence certaine.
C’est à Roger qu’on confiait aussi la tâche de passer au hachoir* les résidus de viande récoltés. C’était un travail guère ragoûtant en raison de l’odeur qu’il avait en aversion, mais c’était là le sort du jeunot qui n’était pas encore en âge de gagner son pain. Il en rêvait la nuit et, somnambule, lorsqu’il se levait en plein sommeil et arpentait la chambre, il répétait cette phrase devenue célèbre «La viande r’swingue», façon certainement d’exorciser son dégoût.
En 1944, Adrien prenait épouse en même temps que son frère Maurice, avec deux sœurs d’une même famille, Jeannette et Bernadette Henry du village voisin, Honfleur. Veuve, madame Henry, Albertine Labonté, veillait à ce que les futurs époux de ses filles soient dûment établis, c’est-à-dire qu’ils possèdent un maison et assez de biens pour les faire bien vivre. Pour Maurice, la chose était convenue, il habiterait la maison paternelle, étant assuré, comme il assumait déjà le fonctionnement de la ferme depuis la fin de l’école primaire, d’en être l’héritier le temps venu de la retraite des parents. Quant à Adrien, il bâtit, sur une parcelle de terre que son père lui avait cédé pour 1500,00$, une maison, une petite étable et de nouveaux enclos à renards.
Pour faire face à toutes ces dépenses, il faut supposer que son élevage avait prospéré et que la vente des peaux avait été passablement lucrative, Il avait relevé avec brio le défi difficile du métier d’éleveur de renards. Il était doué de la fibre de l’entrepreneur, celui qui ne craint pas de foncer tête baissée dans les difficultés et de braver l’inconnu. Il suffit d’avoir la foi en ses moyens et de se mettre à l’ouvrage, marteau et équerre en main, avec l’assurance que la maîtrise d’un art ou d’un métier s’acquiert grâce à la pratique, souvent soutenue par l’expérience puisée chez ceux-là qui nous ont précédés.
On peut se demander d’où lui venait cette appétence pour l’action, la découverte, le désir d’entreprise, car Alphée, son père, était plutôt conservateur, se contentant, jour après jour, d’accomplir la besogne ingrate d’agriculteur œuvrant sur une ferme plus riche en cailloux qu’en sol gras et fertile. Exécrant en fait cette occupation, il continuait à utiliser les vieilles méthodes qui contribuaient à perpétuer le marasme. Adrien et Maurice étaient d’un autre siècle. Autour d’eux tout changeait, la mécanisation, les nouveaux procédés… l’électrification, entre autres, offrait de nouvelles possibilités, l’automobile… La deuxième guerre étant terminée, ils souhaitaient profiter des bénéfices de la nouvelle ère qui s’ouvrait, et changer un peu la donne.
C’est dans cet état d’esprit qu’Adrien avait débuté son élevage qu’il abandonna peu après son mariage, vers 1948, alors qu’il troqua sa petite ferme, sa maison et son étable pour une maison au centre du village. La terre n’était pas son affaire et, d’ailleurs, elle était trop petite pour être rentable et faire vivre la petite famille naissante (Jean-Marie, Lorraine et Germain étaient déjà nés). Ici, me revient un souvenir… J’avais cinq ans et j’étais monté jusqu’à la maison de mon frère, probablement pour profiter des attentions de son épouse Jeannette, toujours accueillante… Elle était dehors, devant le perron, avec Adrien qui venait de déposer près de lui un seau de pâtée qu’il avait préparée pour ses renards nichés là-haut sur le «cap». Jean-Marie, alors âgé d’environ deux ans, s’approcha du seau et empoigna un peu de pâtée qu’il éparpilla tout autour. Un peu trop prompt, Adrien le semonça et tapa un brin lourdement la main coupable. Bien sûr, le petit commença à pleurnicher. J’étais un peu surpris et ébranlé, car l’offense me paraissait bien bénigne. Quant à Jeannette, choquée par cette brusquerie, elle gratifia son époux d’un regard torve, s’empressa d’attraper son fils éploré et se précipita dans la maison. Le message était clair. Pas besoin d’un esclandre pour le passer.
Je conserve un vague souvenir du départ de la petite famille pour le village, sinon que… cet été-là ou le suivant (ce devait être en 1949, même si je n’ai rien pu trouver dans Internet pour le confirmer), une sécheresse avait sévi dans la région et l’aqueduc du village était à sec. Adrien venait à la maison paternelle deux fois la semaine avec des bidons qu’il remplissait à même une source toujours féconde non loin du ruisseau les Pointes (ou était-ce dans le «clos des beus», ce champ en friche non épierré qu’on pouvait traverser sans toucher terre en sautillant d’une pierre à l’autre. Le curé avait même organisé une procession pour obtenir l’intervention du ciel et ramener la pluie.) L’aventure de l’élevage des renards était terminée…
Mais je ne peux clôturer ce récit sans rappeler certains petits faits et gestes qui ont marqué mon esprit durant cette période et après…
- Le piton
C’est le nom qu’on donnait à une vieille carne, un cheval en fin de vie, à moitié éreinté par l’âge. Adrien avait probablement acquis cet animal d’un propriétaire qui voulait s’en départir à bon marché. La viande qu’il pourrait en tirer servirait à nourrir ses renards et renardeaux pendant quelques jours. Mais il fallait d’abord le mettre à mort, ce qui n’était pas une mince affaire… Ça se passa devant l’étable. Moi, âgé de trois ou quatre ans, je suppose, j’observais la scène du perron du bas-côté. On amena la bête, décrépite, et papa lui enfila un sac de jute sur la tête pour éviter qu’il bouge en voyant Adrien qui s’avançait avec une carabine. La retenant à l’aide d’une corde nouée à son licol, papa recula de quelques pas. Sans perdre de temps, Adrien épaula, tira et rata… la cible. C’est que, énervé, sentant probablement que quelque chose de peu enviable allait survenir, le pauvre cheval avait fait un écart soudain. Le coup de fusil l’ayant affolé, il échappa à l’emprise de papa et de rua dans le champ voisin au grand galop. Ce fut alors le branle-bas de combat pour le rattraper. Ils étaient quatre pour essayer de le cerner : Adrien, bien sûr, Maurice, papa et Roger qui avait rejoint le groupe, trop heureux de montrer de quel bois il se chauffait. La capture ne fut pas aisée. Le canasson avait encore de l’énergie. Ce n’est qu’une bonne heure plus tard, alors qu’à bout de souffle par sa galopade effrénée, Roger, toujours un peu téméraire. réussit à lui sauter au licol et à l’immobilier. Après l’avoir ramené devant l’étable et avoir attendu quelque temps pour qu’il se calme, on lui passa un corde autour du cou et, papa et Adrien le maintenant des deux côtés fermement, c’est Maurice cette fois qui s’avança, tira… et le pauvre piton s’effondra… Je n’avais rien manqué du spectacle. Pour moi, c’était tout un événement! C’est pourquoi je m’en souviens comme si c’était hier. Un cheval blanc, grisâtre, qui claudiquait un peu…
- Adrien, le facétieux
J’ai toujours aimé Adrien pour son côté jovial, un peu malicieux. C’était un cœur joyeux, chantonnant souvent en travaillant, des airs connus agrémentés de paroles sans queue ni tête. Il était actif, souple comme un chat, n’ayant peur de rien, surtout pas des hauteurs, s’amusant à grimper jusqu’au comble d’un édifice en construction…
Mais j’en reviens aux renards… C’était l’année, je crois, où il avait décidé de mettre fin son élevage, le commerce de la fourrure s’étant affaissé et n’étant plus rentable. Ça se passait devant l’étable. Adrien abattait les renardeaux de la dernière portée avant de les écorcher. Même si, à sept ans, ce spectacle m’effrayait un brin, il me fascinait aussi. D’observer avec quelle dextérité, quelle virtuosité, il accomplissait ce travail minutieux tout en sifflotant, me réjouissait. S’étant rendu compte que je le surveillais, il fit mine de trancher l’appareil génital de la carcasse qu’il achevait d’écorcher et, le portant à sa bouche, de l’avaler en se délectant. Puis, en ayant découpé un second d’une autre dépouille, il me l’offrit, m’assurant en claquant des lèvres, que c’était un délice. Bien sûr que je me suis pas laissé prendre à son petit jeu… Mais je me souviens que lui riait dans sa barbe.
- Adrien, le magicien
C’était au printemps. Au mois de mars, je crois. Dans la cuisine, à côté du gros poêle l’Islet. Adrien est entré essoufflé, tout excité, pour annoncer à maman et papa que, dans les portées de renardeaux nouveaux-nés, il y en avait plus d’un au pelage «platine» dont le prix était très élevé par rapport à ceux au pelage «argenté» ou noir commun. C’était très risqué d’ouvrir les cages après la mise-bas et au moment de l’allaitement, car très soucieuses de leurs rejetons, les mères pouvaient simplement les occire pour les soustraire à un prédateur. Mais tel un magicien, Adrien avait su, par ses agissements, gagner la confiance de ses protégées, au point où elles auraient mangé dans sa main…
- Les froussardes : Madeleine et Carmelle
J’en ris encore! Lorsque les hommes de la maison s’absentaient pour une journée ou deux, il fallait quand même abreuver deux fois par jour les renardes et leurs petits, surtout au temps des canicules. Alors on demandait à Madeleine et à Carmelle de s’en charger, Mais les deux, surtout Madeleine, avaient un peur bleue des renardes, toujours agressives et glapissant furieusement lorsqu’un étranger pénétrait dans leur enclos. Aussi les deux demoiselles, refusant de le faire, avaient trouvé un stratagème… Ayant déniché dans le hangar un tuyau de métal de deux mètres de longueur, elles s’approchaient des enclos, enfonçaient le tuyau à travers le grillage de la clôture pour joindre l’écuelle et, à l’aide d’un entonnoir, tentaient de la remplir, en tremblotant tant elles se dépêchaient, même si danger il n’y avait guère à cette distance. Chaque fois, c’était pour moi, petiot, un véritable divertissement et aussi un peu ma revanche, car elles ne me ménageaient pas les grandes sœurs, parce que de loin le cadet de la famille je bénéficiais, on peut le dire, de la faiblesse de ma bonne maman.Et elles me jalousaient
- L’enclos des renardeaux
Une fois sevrés, les renardeaux étaient transférés dans un autre enclos comportant plusieurs cages d’un mère carré dont la porte était munie d’une mangeoire pivotante pour la commodité. J’étais bien averti, si je m’aventurais dans ces enclos, de ne pas tenter d’ouvrir les mangeoires, au risque de me faire happer les doigts par ces petits diables glapissants toujours énervés. C’était la même chose pour les jeunes qui venaient en visite parfois, mes voisins Jean-Guy et Fernand, mes neveux Jean-Marie, René et peut-être Germain, Maman, toujours craintive, me mettait en garde contre ces pinailleurs à la voix aigüe.
J’ai souvent joué dans cet enclos une fois qu’il fut abandonné pour de bon. Puis il fut démoli, je ne sais quand, probablement lorsque j’étais pensionnaire à Sainte-Luce-sur-Mer. Je n’ai pas trouvé, parmi les photos laissées par maman, une seule trace de ce petit bâtiment d’une trentaine de pieds de longueur. Je sais, les appareils-photo à l’époque, ce n’était pas courant, mais quand même.. L’élevage de renard d’Adrien est une belle aventure qui aurait valu d’être illustrée.
- Un événement heureux
Parmi mes beaux souvenirs… celui du retour d’Adrien de Québec (en 46 ou 47?) où il s’était rendu (probablement dans sa nouvelle Terraplane) pour vendre les peaux de sa récolte de l’année. Elle avait dû être florissante, car il était tout joyeux et enjoué. Il avait rapporté, ce qui n’était pas coutume, car il était sobre comme un moine, une caisse de Boswell (oui, de la Boswell!). Tout le mode s’était réuni au grenier (c’est mon souvenir) et il la partageait avec Maurice, Roger et, cela m’avait surpris, papa. Lui aussi était sobre et je ne l’avais jamais vu auparavant ingurgiter une boisson alcoolique. Mais là, il était tout joyeux, un peu émoustillé peut-être, tout au plaisir de son fils qui avait ramené le fruit de son labeur et de ses efforts (Lui, d’habitude si posé, si sérieux, cela était surprenant.). Maman et Bernadette étaient de la partie et peut-être Jeannette… La mémoire est une faculté vraiment étrange… Pourquoi me reviennent tout à coup ces souvenirs-là, parmi tous ceux oubliés à jamais?
Photos et légendes
Ici, derrière Jeanne, ma sœur, une partie des enclos (les ranchs à renards) situés à 100 mètres de la maison, côté est, vers la grand côte.
Un objet rare. Ci-dessous, mon neveu Germain, le fier propriétaire de la pince à renard que lui a léguée son père. Cet instrument servait à attraper les renards par le cou, sans trop s’en approcher, évitant ainsi les morsures.
Trouvées par Charles-Henri, mon neveu, fils de Maurice, dans une boîte de photos dénichée dans la maison paternelle du cinquième rang, deux photos rares…
Ci-contre, Adrien tenant un renardeau dans ses mains avec, à son côté, la pimpante Jeannette. Était-ce avant ou après leur mariage, le 12 août 1944? Difficile de bien voir ce qui se cache derrière…
Maurice tenant un fusil dans ses mains à côté de Bernadette, au moment des fréquentations ou après le mariage? On peut se demander pourquoi un fusil? On doit se rappeler que Maurice avait été conscrit vers 1942 et contraint à l’entraînement militaire aux camps de Montmagny et de Valcartier, jusqu’à sa réforme pour cause de problème cardiaque.
Le traité L’indispensable, sur l’élevage des renards, publié en 1930, qu’a probablement consulté Adrien avant de se lancer dans son projet ambitieux, est disponible dans Internet: :
https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4393626
Essex 1928
Terraplane 1933
Logo de la bière Boswell
* Charles-Henri, mon neveu, m’a appris hier, à mon grand étonnement, que ce hachoir géant, probablement actionné à l’époque par un moteur à essence, existait toujours, juché quelque part sur une poutre, dans le grenier (fenil ou fanil) de l‘étable de la cinquième. Il doit le photographier, grimpé dans une échelle, et me faire parvenir la photo numérisée. Il m’a dit aussi qu’il avait peut-être aperçu des ruines des enclos construits sur le cap. Il doit vérifier et me le confirmer si c’est les cas.
Marcel Chabot, 22 mai 2023