Une escapade mémorable


    Dernier né de la famille et venu au monde sept années après Carmelle qui me précédait, j’étais passablement choyé par ma bonne maman Eugénie qui tolérait tous mes caprices au grand dam de papa et de mes soeurs Carmelle et Madeleine déjà adolescentes. Aussi, lorsque mes parents s’absentaient et qu’ils leur confiaient le rôle de gardiennes, elles profitaient de l’occasion pour tempérer ma propension à faire mes quatre volontés.

    Un jour donc que papa et maman était partis au village, chargées de me surveiller, elles se mirent en tête - Madeleine surtout - de me dresser un peu, refusant d’obtempérer à mes demandes afin de me faire comprendre que c’étaient elles maintenant les patronnes.

Je me rebiffai alors et les menaçai de m’enfuir si elles ne cessaient pas de me harceler et de m’étriver. Bien sûr, elle se moquèrent de mon chantage. Ce qui m’irrita encore davantage.

    Alors, je décidai de mettre mon défi à exécution. J’en fourchai mon tricycle et m’engageai sur le chemin de gravier qui conduisait à la route nationale un kilomètre plus loin. De là, j’aurais encore deux kilomètres à parcourir.  M’observant de la galerie, elle durent penser que ma bravade ne me mènerait pas très loin.

    Mais j’étais déterminé et, malgré une certaine crainte, je ne rebroussai pas chemin. Arrivé à la route, j’hésitai un peu, car là circulaient en plus grand nombre les voitures automobiles. Roulant sur l’accotement de peine et de misère, je pédalai, pédalai, le souffle court, mon coeur battant la chamade. Juste avant d’arriver au village, il y avait une côte assez raide où je dus traîner derrière moi mon engin, incapable de la gravir à la force de mes pauvres jambes, molles comme des guenilles. 

   Je pris un peu de repos et, reconnaissant les lieux, je fis un dernier sprint jusqu’à la maison de mon frère où avait lieu la la petite réception qui avait suivi la cérémonie du baptême de leur premier né, Marcellin. Bien sûr, tout le monde fut surpris de me voir arriver seul, dégoulinant, le visage pourpre, haletant encore. Maman surtout. Je craignais un peu la réaction de papa, mais il ne dit mot, fête oblige. Et le retour se fit en auto, conduite par Maurice, mon tricycle dans le coffre.

    Bien sûr, mes pauvres sœurs, constatant que j’avais disparu, avaient été prises de panique. Elles avaient couru après moi, jusque chez les voisins à ma recherche. Et comme il n’y avait pas le téléphone à la maison, il leur était impossible de joindre qui que ce soit. Elles craignaient un peu la réprimande des parents, mais ni l’un ni l’autre les morigéna. Rien de fâcheux n’était arrivé, alors à quoi bon…

    Quant à moi, je n’étais pas peu fier de mon algarade. Les demoiselles n’avaient qu’à ravaler! Elles avaient eu leur leçon! Il ne fallait pas braver le petit frère.


Marcel Chabot, décembre 2020