Souvenirs...
 

Jacqueline – bref portrait

Jacqueline est née le 13 janvier 1932 à Saint-Lazare-de-Bellechasse. Elle a été baptiséele lendemain par le  vicaire de la paroisse, l’abbé Charles Létourneau.

























Elle dut avoir une enfance sans problème, car je n’ai rien entendu à son sujet de ce temps-là. C’était certainement une bonne élève, comme tous ses frères et soeurs d’ailleurs. Si j’ai peu de souvenirs d’elle à cette époque, c’est qu’elle a quitté la maison dès son cours primaire terminé. Comme son aînée Jeanne, elle a été accueillie chez son grand oncle Adélard Bilodeau, curé de la paroisse de Portneuf. Tout en poursuivant ses études secondaires, elle effectuait divers petits travaux pour alléger la tâche de sa grande tante Emma, soeur du curé et gouvernante du presbytère.


Ses études secondaires terminées, elle s’inscrivit à l’École normale de St-Damien, dirigée par les Soeurs du Perpétuel secours. Brillante et appliquée, elle franchit toutes les étapes menant à l’obtention du Brevet d’enseignement complémentaire. De cette époque, je garde le souvenir qu’elle avait rapporté du Couvent des albums reliés contenant des numéros de l’Abeille, revue destinée aux jeunes très populaire à l’époque. J’ai passé de nombreuses heures à feuilleter ces albums dont maman me lisait des extraits avant que j’apprenne à lire. Je crois que mon intérêt pour la lecture et l’écriture origine de là... C’est elle aussi, je crois, qui a apporté à la maison les Cahiers de la bonne chanson que j’ai aussi beaucoup fréquentés, regardant les images et essayant de décoder le langage musical...


Maintenant enseignante, elle demeure à la maison et j’ai l’occasion de la mieux connaître. Son premier emploi était à Honfleur (je crois, là ma mémoire vacille!) et comme c’était la coutume à l’époque, elle résidait à l’école du lundi au vendredi, préparant sa popote et assumant la responsabilité du chauffage et du ménage des lieux moyennant le faramineux salaire de 600,00 $ l’an. C’est Roger qui la conduisait alors à l’école et allait la chercher la semaine terminée.   Puis, l’année suivante, elle dut s’exiler dans une école de rang de Ste-Apolline, une paroisse éloignée dont la réputation inquiétait fort maman. Mais Jacqueline était courageuse. Des jeunes farceurs du coin tentèrent bien de l’effrayer en venant cogner dans ses fenêtres, mais face à son flegme et à son assurance, les tentatives d’intimidation cessèrent et les parents finirent par la respecter. Les deux années suivantes, elle fut engagée à St-Malachie, une paroisse voisine, en même temps que sa soeur Carmelle qui venait d’obtenir son diplôme. Je me souviens que l’école où elle devait enseigner n’étant pas prête au jour convenu, elle avait menacé de faire la grève, se mettant à dos le commissaire du coin. Comme leurs écoles étaient voisines, les deux soeurs se visitaient et se portaient assistance mutuelle. À ce moment-là, c’est Maurice qui se dévouait pour assurer leur transport à l’école les lundi et les vendredis. Comme cette corvée l’ennuyait un peu, il bougonnait pour la forme, ce qui avait pour effet de faire monter un brin leur température.


Entre-temps, un prince charmant s’était présenté, un jeune homme du village bien de sa personne. L’idylle dura quelques mois, puis le prince fut attiré par une autre flamme. Jacqueline en éprouva une grande déception. De la façon dont les choses s’étaient passées, la blessure était profonde. Elle avait besoin de réfléchir à son avenir et prit une année sabbatique pendant laquelle elle occupa différents petits emplois dont l’un comme secrétaire du propriétaire du Moulin Goulet.  Au terme de cette période de questionnement, à l’été 1954, elle en vint à la conclusion qu’elle n’était pas faite pour le monde et qu’il serait peut-être préférable qu’elle suive les traces de sa soeur Jeanne. Elle fit donc sa demande d’admission au couvent des Soeurs de la Charité de St-Louis où elle entra le 15 août 1954 comme postulante.


Maman était bien sûr enchantée de cette décision, une autre religieuse dans la famille... Quant à papa il semblait un tantinet sceptique devant cet appel soudain à la vocation. Discret comme toujours, il ne disait rien mais n’en pensait pas moins, comme on dit... Jusqu’au soir où, m’étant attardé un peu trop chez le voisin, j’arrivai à la maison à la nuit tombée. C’était pendant les vacances d’été, j’avais douze ans, et les parents m’accordaient une certaine liberté d’action. Trop au goût de ma soeur qui passa, devant papa, une remarque du genre : « Lui, il fait ce qu’il veut dans la maison... Vous ne l’élevez donc pas! » Piqué au vif, papa rétorqua : « Pour ce qui est d’élever Marcel, c’est notre affaire et pas la tienne. Quant à toi, avec ton caractère, tu passeras pas deux semaines au couvent! » Elle y resta presque 15 ans, ne quittant la communauté qu’après la mort de papa en 1969. Je porte ici un jugement, mais je crois que papa avait justement perçu que la vie religieuse n’était pas la solution à la détresse passagère de sa fille et qu’il a tenté, cette fois-là, de la détourner de son projet.


Elle prit donc le voile sous le nom de Sr Marie-de-la Salette et, après avoir prononcé ses voeux temporaires en 1957, enseigna quelques années (Je me rappelle que nous étions allés lui rendre visite, papa, maman et moi, sans doute conduits par André, dans un couvent situé à  Shawinigan-sud.) avant d’entreprendre, en 1964,  des études, à l’Université de Montréal, pour devenir diététicienne. Je me souviens que résidant à Montréal-Nord à l’époque, j’étais allé lui rendre visite à la Maison Vincent d’Indy où elle résidait. Ses études terminées, elle complète sa formation par des stages et débute la pratique son métier dans un hôpital de Loretteville.  Puis on la retrouve quelque temps plus tard à l’Hôtel-Dieu de Lévis. où  elle élabore le programme de nutrition du Département de santé communautaire (DSC), structure nouvellement créé par le ministère de la Santé.  En 1969, elle quitte définitivement la communauté des Soeurs de la Charité de St-louis, tout en continuant d’exerce son métier de nutritionniste et de propagandiste de la bonne alimentation pour le même organisme.


Vers 1981, maman quitte la maison pour aller habiter dans un HLM. Jacqueline voit à faciliter son déménagement et se déplace chaque fin de semaine pour lui porter assistance. Une anecdote datant de cette période, que j’ai déjà rapportée ailleurs, mais que je ne peux résister à l’envie de répéter ici  : Vivant à Montréal, lorsque qu’il m’arrivait de rendre visite à mes parents, je ne prenais jamais le soin de les avertir de mon arrivée par téléphone, au grand dam de mes compagnes de vie qui me trouvaient bien mal poli. Or, un jour, je me présentai au HLM où vivait maman pour lui rendre visite. Ma sœur Jacqueline était avec elle. Lorsque dix-sept heures sonnèrent et que je ne faisais pas mine de vouloir quitter, maman m’offrit de rester à souper. J’acceptai son invitation sachant que cela lui faisait plaisir. Là je vis le visage de ma sœur se rembrunir et ses yeux scintiller comme des tisons ardents. Sans mot dire, elle se dirigea vers la cuisine et on entendit les ustensiles cliqueter et les casseroles cacophoner, au grand désespoir de maman que cette attitude énervait et qui résistait avec peine à l’envie de prendre elle-même les choses en main. Quant à ma nouvelle compagne, Claudette, elle aurait voulu se voir à des milles de là ou enfouie sous un mètre de sable. De mon côté, je m’amusais intérieurement de cette petite saute d’humeur de ma chère grande sœur, sachant que ce mini nuage serait vite effiloché et que le soleil brillerait dans le quart d’heure. Et, en effet, comme dans la 6e symphonie de Beethoven (dite la Pastorale), la tempête fit bientôt place au zéphyr embaumé de la sérénité. Le souper se passa dans la bonne humeur et les sourires illuminèrent les visages.


Toujours aussi généreuse, elle continua durant les années qui suivirent, à s’occuper du bien-être de maman avec ses frères et soeurs jusqu’au décès de celle-ci en 1991. Puis, en 1993, l’heure de la retraite sonna qu’elle coule paisiblement à Lévis, après avoir résidé quelques années à St-Henri.


Que dire de cette soeur qui bien qu’un brin prompte et soupe au lait parfois, est et a toujours été d’une générosité sans pareille. Une autre anecdote pour illustrer cette assertion. Un jour que j’étais en visite chez mes parents dans leur maison du village, mon fils Yannick, alors âgé de 3 ou 4 ans, commet une petite bourde qui lui vaut les remontrances de ma soeur Jacqueline, aussi présente. Même si sa réaction m’a un peu déplu, j’essaie de n’en laisser rien voir, non plus que Monique, ma compagne. Mais je crois qu’elle a deviné qu’elle avait réagi un peu rudement et qu’elle nous avait offensés. Dans l’après-midi, elle s’absente et revient avec un magnifique tricycle destiné à Yannick. Ça , c’était Jacqueline, une femme de coeur, qui pense aux autres, qui est sensible à leurs besoins. Lorsqu’elle a commencé à gagner des sous, elle m’a toujours fait des cadeaux à Noël et elle n’oublie jamais mon anniversaire... Un coeur immense, sans compter toutes les autres qualités, rectitude,  méticulosité, sens du devoir, qui sont la marque de commerce des Chabot...