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Voyage au temps de nos ancêtres

Vol. 10, no 2, Février 1997

Le calme règne ce matin dans la classe de Claudie. Penchés sur leurs pupitres, ses élèves de 5° année , réunis deux à deux, dévorent avec une ferveur inhabituelle les textes qu'elle vient de leur remettre. Le silence n'est rompu que par le « scouicoui » sporadique d'un crayon qui souligne ou qui griffonne quelques mots. L'explication de cet enthousiasme soudain surprenant se trouve peut-être dans le fait que ces textes sont des lettres venues de loin... Chaque équipe a reçu la sienne dans les jours précédents. Une lecture attentive s'impose de façon à ce que la réponse qu'on y donnera soit à la hauteur des attentes des correspondants.


Claudie profite de ce moment de relative accalmie pour planifier la situation d'apprentissage qui doit faire suite à cette activité de lecture. Après la récréation, elle compte bien, misant sur le fait que l'emballement des enfants est à son comble, consacrer une heure à la préparation du canevas de rédaction de la réponse. Dans l'après-midi, elle leur accordera une autre heure pour en rédiger, deux à deux, le brouillon. Ainsi, elle pourra, entre La Petite Vie et l'heure du coucher, revoir tous les brouillons pour y relever les erreurs et les incohérences en utilisant un code de correction auquel ses élèves sont habitués.


Comme il faut battre le fer quand il est encore chaud, elle entend bien, dès le lendemain matin, immédiatement après le cours d'enseignement religieux, leur allouer le temps suffisant pour réviser leurs brouillons annotés et corriger leurs fautes. Si cette étape est terminée avant la pause du midi, elle les conduira, aussitôt qu'ils seront de retour du dîner, au laboratoire d'informatique afin qu'il puissent les dactylographier. Ses élèves sont maintenant familiers avec le logiciel de traitement de texte dont sont dotés les ordinateurs; elle escompte donc que la plupart d'entre eux auront accompli cette tâche lorsque retentira la dernière cloche. Comme elle tient mordicus è ce que les messages rédigés par ses élèves soient exempts d'erreurs ou de maladresses sur les plans tant de la forme que du fond, elle prévoit réserver une partie de la matinée du mercredi à la révision des textes dactylographiés.


C'est à ce moment qu'une question lancée à la cantonade par le turbulent Alexandre interrompt brusquement sa réflexion. Elle sursaute.

– Claudie? C'est quoi un « dévidoir?

C'est écrit ici dans notre lettre... « Thérèse utilise un dévidoir pour former des écheveaux de laine ››.

– Euh... un dévidoir... je crois que c'est une sorte d'instrument dont on se servait autrefois pour enrouler les fils de laine qu'on venait de filer... vous savez, avec une rouet... C'est un peu difficile à expliquer... Je me souviens d'en avoir vu un dans le grenier de ma grand-mère, lorsque j'avais votre âge. Tenez, je vais essayer de le dessiner au tableau. Elle s'exécute en leur donnant quelques détails sur le fonctionnement de cet instrument ancien et sur l'utilisation qu'on faisait des écheveaux de laine. Les enfants écoutent attentivement ses explications avant de se replonger dans leur lecture.


Tant bien que mal, Claudie tente de retrouver le fil de ses idées... « Voilà, voilà... », se dit-elle à elle-même, « mercredi matin, révision des textes... ce qui signifie que je dois réserver le laboratoire d'informatique une bonne partie de l'après-midi pour permettre aux enfants de taper les dernières corrections qu'ils auront apportées à leurs lettres et de les expédier, si possible. Haut les coeurs, Claudie, et vogue la galère! »

– Est-ce que chacune et chacun d'entre vous a terminé la lecture de sa lettre et bien noté toutes les questions de son correspondant? »

Son interrogation est immédiatement suivi d'un « OUI ›› unanime et retentissant.

– Eh! bien, bravo... Je me rends compte que l'enthousiasme ne manque pas. Après la récréation...

C'est juste à ce moment que la cloche se fait entendre.


Le petit scénario qui précède est fictif, mais il se réalise à peu près de cette façon dans toutes les classes qui participent à la grande aventure du Village Prologue. Prologue est un village virtuel imaginé par un enseignant du secondaire, Didier Tremblay. Le lieu exact de ce village n'est pas connu. Ce que l'on sait, par contre, c'est que la vie de ses habitants se déroule dans un lointain passé, en 1852 plus précisément. C'est un vieux crack de l'informatique de notre temps du nom d'Aurigène Lemieux – alias Didier Tremblay qui, après de nombreuses expériences, aurait trouvé le moyen d'établir la communication entre le présent et le passé en installant des LIGNES un peu mystérieuses... Comme l'éducation des jeunes fait partie de ses préoccupations, il a décidé de les faire profiter de son invention en premier.


Depuis maintenant cinq ans, il invite des enseignantes à utiliser ses fameuses LIGNES pour établir une correspondance entre leurs élèves et des personnages de Prologue. Il faut préciser ici qu'il s'agit d'une formule de correspondance un peu particulière, rendue possible grâce è la télématique – communication à distance par les moyens qu'offre l'informatique. Les classes participantes doivent donc disposer d'ordinateurs reliés par modem ou autrement à un réseau de communication : babillard ou Internet. Ainsi, le courrier n'est plus échangé par la voie traditionnelle de la poste, mais directement et instantanément grâce un réseau de communication.


Parmi les habitants de Prologue, quelques dizaines sont actifs annuellement, c'est-à-dire qu'ils sont animés (incarnés) par des personnes bien vivantes, pour la plupart des adultes, qui acceptent, à partir de leur foyer, de répondre aux lettres qu'ils reçoivent des élèves de différentes classes, dont le nombre et l'année sont déterminés selon leur gré avec Aurigène. Ces personnes, qui oeuvrent pour la plupart dans le domaine de l'éducation, font ce travail bénévolement parce qu'elles sont convaincues de la valeur pédagogique de cette activité. En effet, peut-on imaginer une situation de communication plus authentique que celle-la? Les messages échangés peuvent porter sur différents sujets, au gré des intérêts, des occupations ou des préoccupations des correspondants, jeunes comme adultes. Ces messages peuvent également appartenir et divers types de discours, allant du récit à la simple description d'un objet, en passant par le poème, le portrait, l'anecdote, l'expression d'opinions ou de sentiments. Les personnages qui participent à l'activité sont d'ailleurs invités à poser des défis à leurs jeunes correspondants, à susciter leur créativité, voire à être attentifs à leurs difficultés scolaires ou personnelles.


Si cette activité de correspondance se prête bien à l'enseignement de la langue selon les orientations et les objectifs privilégiés par le programme d'études de français, elle peut aussi permettre, à des degrés divers, notamment au 2e cycle du primaire, d'aborder plusieurs objectifs rattachés aux sciences humaines. Lorsqu'ils parlent de leur mode de vie aux enfants du futur, qu'ils décrivent les outils dont ils se servent ou qu'ils dressent la liste des tâches quotidiennes liées à leur métier, les personnages jettent un pont entre le présent des jeunes et leur passé et contribuent à leur faire comprendre les concepts d'espace, de temps, de permanence ou d'évolution. Les personnages vivent en 1852 et ils sont tenus de toujours formuler leurs messages en tenant compte des réalités de ce temps. Par exemple, à cette époque, le Père Noël n'existait pas et la remise traditionnelle des cadeaux avait lieu au Jour de l'An. On ne fêtait pas l'Halloween au milieu du XlX° siècle, mais les jeunes et les adultes profitaient de la dernière journée précédant le Carême pour festoyer et se défouler. Ce jour-là, ils se déguisaient en « Mardi-gras  ›› et se déplaçaient de maison en maison pour demander des friandises en échange de chansons ou d'histoires drôles.


Les enseignantes qui inscrivent leurs élèves à cette activité reçoivent un dossier d'information comprenant les renseignements nécessaires pour mettre l'activité en marche : fiche descriptive de chaque personnage actif accompagnée du portrait de celui-ci dessiné par un artiste du temps; suggestions sur la façon de préparer la mise en situation initiale : présentation de chacun des personnages, choix d'un personnage par les élèves; conseils sur la rédaction de la première lettre; renseignements sur l'installation et l'utilisation du logiciel de communication utilisé, etc. Dans leur première lettre, les élèves se présentent. Ils n'attendront pas trop longtemps leur réponse, car les personnages doivent donner suite aux lettres reçues dans les cinq jours suivant leur réception.


Le scénario qui sert d'introduction au présent texte se situe au moment où les élèves de 5e année de la classe de Claudie, tout excités, font la lecture des lettres qui leur ont été expédiées (électroniquement) par leurs amis du passé. Ils soulignent des phrases et prennent des notes, comme leur a demandé de le faire leur enseignante. Même s'ils savent que leurs correspondants sont des personnages imaginaires, les élèves se comportent comme s'ils existaient réellement! Ils se laissent prendre au jeu; ils semblent même heureux de s'y laisser prendre! Des enseignantes de plusieurs classes du 2e cycle du primaire ont observé, parfois avec un brin de surprise, une sorte d'enchantement chez leurs élèves inscrits à cette activité et noté, en même temps, un regain subit d'intérêt pour la lecture et l'écriture. Les conditions d'une communication authentique étant réunies, ils prennent manifestement plaisir à rédiger leurs messages, à les corriger et à les peaufiner de façon à répondre aux attentes de leurs interlocuteurs. Ils se montrent soucieux de soigner leur image en préparant des lettres dont le contenu est cohérent et bien organisé et qui ne comportent aucune faute.


Animateur lui-même d'un personnage du Village Prologue, l'auteur des lignes qui précèdent en retire une vive satisfaction. Tout comme les jeunes qui lui écrivent, il se prend au jeu! Lorsque, au moment de répondre à une lettre d'un jeune correspondant du futur, il emprunte, tel un acteur, l'identité d'Ovide Polansky, jeune immigrant Polonais réputé pour sa force physique et beau garçon (à ce qu'on dit!), il éprouve un curieux frisson de plaisir. Ce plaisir doit transparaître dans ses réponses... La qualité du courrier qu'il reçoit et la chaleur qui s'en dégage lui en donnent en tout cas l'assurance.


Celles qui souhaiteraient, en compagnie de leurs élèves, faire une excursion virtuelle dans le passé pour y rencontrer les personnages sympathiques du plus beau village virtuel du Québec, sont donc invités à communiquer avec celui qui l'a créé et qui en est l'âme, à l'adresse suivante (qui est celle du site du Village Prologue) :


http:www.prologue.qc.ca



Note de l'auteur :

  1. 1)Les adresses qui apparaissaient dans l'article original ont été enlevées car elles n’étaient plus exactes.