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Plaidoyer pour une école bourdonnante

   No 106, février-mars 1998

J'ai lu avec attention et un vif intérêt le rapport du Groupe de travail sur la réforme du curriculum1. Les intentions qui y sont exposées et les moyens que l'on suggère en vue de les concrétiser, pour intéressants qu'ils soient, demeurent ambigus. Je m'explique. Certaines parties de ce document de 151 pages pourraient nous laisser croire que l'école que l'on souhaite «réaffirmer» devrait être bourdonnante, qualificatif que l'on accole généralement à la ruche et, par extension, à tout milieu où l'activité est débordante; d'autres parties donnent l'impression que l'on recherche plutôt une école ronronnante qui, tel le petit moteur bien graissé et bien huilé, remplit sa fonction sans heurt, sans soubresaut et sans pétarade. Cette ambiguïté, qui n'est pas nouvelle puisqu'elle plane au-dessus de nos têtes depuis belle lurette, m'agace! Il faut prendre parti pour l'une ou pour l'autre de ces écoles. Les conditions économiques étant ce qu'elles sont et l'opinion de la population étant conditionnée par les discours réactionnaires assaisonnés à la sauce de la rectitude politique, la tentation est grande d'opter pour l'école ronronnante, l'école polie, l'école sans bavure, l'école-usine, l'école-remplissage-de-cruches, l'école productrice d'epsilons obéissants, l'école du dérapage et du décrochage parce qu'elle ne convient qu'aux deux tiers des élèves (finira-t-on par le reconnaître humblement et sincèrement?). Il faut y résister, au moment où l'on est convié à « réaffirmer l'école », et choisir résolument l'école bourdonnante pour les élèves du Québec.

Dans les lignes qui suivent, je décrirai le plus fidèlement possible l'image que je me fais de l'école bourdonnante. Je l'opposerai à son contraire, l'école ronronnante, sachant très bien qu'outre les extrêmes, peuvent exister toutes sortes de combinaison d'écoles mi-ronronnantes et mi-bourdonnantes. Je ne me prêterais pas à cet exercice si je ne croyais pas possible un tel modèle d'école. Grâce à des enseignantes et à des enseignants audacieux et engagés, nous en avons ici et là des exemples probants!

Une école bourdonnante : brève description
Une école bourdonnante est une école libérée des barrières du temps et de l'espace. C'est une école habitée où les jeunes peuvent circuler librement. C'est une école où le temps n'est pas divisé en parcelles pour s'ajuster à des contraintes syndicales ou administratives. C'est l'école où la discussion et la coopération sont à l'honneur. C'est l'école où la manie de l'évaluation obsessionnelle a été mise au rancart. C'est l'école où l'élève apprend, c'est-à-dire prend la matière inerte qu'on lui offre pour la transformer en savoir en agissant sur elle. C'est l'école où les ressources humaines et matérielles sont riches. C'est l'école où la parole s'exprime librement, même si elle choque. C'est l'école qui fait une place aux champs d'intérêt divergents et même les encourage. C'est une école ouverte sur le milieu et sur le monde, sur la communauté proche comme sur les contrées lointaines. C'est une école où vivent des humains qui apportent avec eux leurs joies, leurs petits bonheurs et, parfois, leurs misères et leur détresse.

L'école bourdonnante n'est pas l'école parfaite, bien ordonnée, bien disciplinée, au contraire... C'est l'école du beau désordre d'où, on l'espère, jaillira l'ordre, c'est-à-dire un certain niveau d'organisation des idées et des pensées permettant à un individu de trouver et de faire sa place dans le monde complexe dans lequel il vit. Microcosme de la société, l'école bourdonnante n'est pas exempte de conflits et de problèmes auxquels il faut trouver des solutions. En fait, dans une école bourdonnante, l'apprentissage de la vie est aussi important que l'acquisition des notions. Ce sont des citoyens et des citoyennes qu'elle doit former et non pas de petits singes savants!

L'école libérée du temps
Dans l'école ronronnante, le temps est compté. Il devient une obsession pour le personnel de l'école. C'est compréhensible: les matières enseignées sont plus nombreuses qu'autrefois, et le contenu des matières, sous l'influence de pédagogues (démagogues!) néo-behavioristes, a été découpé, aux fins de contrôle et d'évaluation, en fines tranches, plus facilement assimilables, de l'avis de ces pédagogues, par toutes et par tous. La plupart des programmes d'études de l'enseignement primaire et secondaire sont ainsi élaborés. C'est donc, dans les classes, du début à la fin de l'année scolaire, la course aux objectifs. L'important, pour les enseignantes et les enseignants, est d'arriver coûte que coûte à les «passer» tous sans exception. On peut les comprendre, puisqu'il en va de la reconnaissance de leur compétence! Mais cette course, cette hâte, cette perpétuelle précipitation leur fait oublier l'essentiel de leur mission: permettre aux enfants d'apprendre et surtout d'approfondir leurs connaissances pour que celles-ci soient utiles et utilisables tout au long de leur vie.

Un important délestage des programmes est à faire. Il ne sert à rien de bourrer les crânes; cela, il me semble, est une évidence largement reconnue. Il faut réduire le nombre d'objectifs par cinq, par dix, voire par vingt. Il faut nous assurer que l'ensemble des élèves aura le temps, grâce à des activités et à des expériences appropriées, de les assimiler convenablement. Pourtant, au-delà de cette nécessaire simplification des programmes d'études, il revient à l'école d'aménager le temps d'enseignement pour atteindre la meilleure efficacité possible.

L'école bourdonnante ne peut s'accommoder d'un rythme de vie conditionné par l'horloge du matin au soir. Pourquoi ne serait-il pas possible, en s'inspirant des pratiques largement répandues dans le cas des cours d'enseignement intensif de l'anglais, de répartir le temps d'enseignement en blocs d'une longueur déterminée? Qu'est-ce qui pourrait empêcher que l'on n'enseigne que du français ou des mathématiques pendant 15, 20, voire 50 jours d'affilée, le temps, par exemple, de mener à terme un projet d'une manière satisfaisante et d'approfondir les notions étudiées? On pourra arguer que les jeunes ont besoin de changement, qu'ils se fatiguent vite du même menu, qu'il leur faut de la variété. Rien n'est plus faux. Ils ne sont pas différents des adultes qui ont en horreur de se faire déranger lorsqu'ils s'appliquent à une tâche, surtout si elle est compliquée. Ils supportent mal, comme eux, d'avoir à terminer le lendemain ou la semaine suivante un travail qui les captive. Ils détestent abandonner une expérience dont ils attendent avec impatience et excitation les résultats. A l'école, les enfants sont frustrés à longueur de journée, bousculés qu'ils sont sans cesse par le temps!

Il n'y a pas de doute, à mon avis, que le seul fait d'aménager le temps dans cette optique contribuerait à améliorer de beaucoup la qualité de l'enseignement et de l'apprentissage. Cela permettrait aux enseignantes et aux enseignants de planifier et d'organiser des activités ou des projets signifiants comportant plusieurs étapes qu'ils auraient le loisir de modifier en cours de route, selon les circonstances. Ne visant qu'une matière à la fois (peut-être deux ou trois, si l'on suit une démarche d'intégration), ils auraient plus de temps à consacrer à l'enseignement des notions difficiles et au soutien à apporter aux élèves momentanément en panne de compréhension. Quant aux élèves, ils apprécieraient enfin le fait de pouvoir travailler dans un climat serein, condition essentielle à l'éclosion de la compréhension et de l'apprentissage.

L'école libérée de l'espace
L'école est un lieu social, une communauté. Les élèves, tout comme les membres du personnel enseignant, devraient pouvoir y circuler librement. L'apprentissage, le véritable, celui qui servira à l'action, doit prendre sa source dans l'action. Il est difficile de concevoir qu'un élève confiné à son pupitre puisse effectuer des apprentissages dignes de ce nom. Il n'est pas surprenant qu'un élève doué soumis au supplice de l'immobilité s'éteigne rapidement et stagne.

L'école bourdonnante est celle qui place l'élève en situation d'agir et qui lui offre l'espace nécessaire pour exercer son agir: chercher l'information dont il a besoin, à la bibliothèque, en consultant un adulte ou des camarades; traiter cette information en utilisant l'informatique, par exemple; publier le résultat de ses travaux ou de ses trouvailles sur un babillard électronique ou sur Internet. A l'école bourdonnante, on apprend la vie. La vie qui se passe derrière un bureau ou devant l'écran d'un ordinateur doit être bien grise! L'école bourdonnante suppose une certaine façon de voir les choses, d'organiser l'espace et d'aménager son utilisation en fonction des individus et non des contingences administratives ou matérielles.

L'école libérée de l'obsession de l'évaluation
L'école ronronnante est une vaste entreprise d'évaluation. On vérifie tout, on mesure tout (du moins, en entretient-on l'illusion!). Il ne se passe pas une journée, que dis-je, une heure, sans qu'on évalue quelque apprentissage. Il serait difficile de trouver un seul travail d'élève qui ne comporte pas une note quelconque. Le concept d'évaluation formative, inventé pour mettre en évidence un type d'intervention centré sur l'élève, au regard de ses réussites ou de ses échecs, a été dévoyé depuis belle lurette, faute d'avoir été convenablement expliqué et présenté. Avec la notation chiffrée que l'on est en train de remettre à la mode, l'important n'est pas de savoir où l'enfant a buté, mais qu'il a simplement buté, plus ou moins. L'apparente objectivité des chiffres satisfait la bonne conscience de tous et chacun!

A l'école bourdonnante, l'évaluation chiffrée est écartée définitivement. Elle est même taboue. Les enseignantes et les enseignants consacrent leur énergie à suivre le cheminement de leurs élèves, à les aider s'ils éprouvent des difficultés, durables ou momentanées, ou encore à les encourager à persévérer dans la mesure de leurs limites. En véritables professionnelles et professionnels, ils se fient à leur jugement. Ils se satisfont de noter des progrès, des lacunes ou des difficultés. Ils font confiance à leurs élèves à qui ils apprennent à s'autoévaluer avec rigueur. Ils ont pris conscience que la mesure est un mythe, qu'elle ne confirme que l'évidence, qu'elle est un leurre qui sert davantage les fins du système que l'apprentissage de l'élève.

L'école libérée de l'asepsie de la parole et du discours
L'école est un lieu de parole. Or, dans l'école ronronnante, cette parole est la plupart du temps vide, aseptisée, enrobée dans la glu des idées reçues et des bons sentiments. Lorsque l'on ouvre la bouche, c'est pour transmettre les petites vérités lénifiantes et rassurantes qui ne dérangent personne. On craint d'aborder les vrais problèmes, les véritables enjeux, sur les plans tant personnel que social. On balaie sous le tapis des thèmes cruciaux comme ceux de la pauvreté, de la misère, de la richesse indue, du mensonge politique. Sous prétexte de neutralité ou d'impartialité, on évite de prendre parti. Les questions fondamentales, comme celles qui ont trait à l'origine du monde, à l'évolution de la vie sur la terre, à l'émergence chez l'être vivant de la capacité d'apprendre, sont passées sous silence. Peu de temps est accordé, s'il en est, à la discussion, à la critique ou à la remise en question. L'école ronronnante est sous haute surveillance. On comprend les enseignantes et les enseignants de ne pas vouloir faire de vagues. Fait-on lire à des élèves de 15 ans tel livre jugé un peu audacieux (même s'il est plus anodin que le plus anodin des vidéoclips!), que les médias en font un événement, voire une affaire d'État. Un malheureux enseignant ose-t-il se prononcer sur un enjeu politique, qu'il est accusé de partialité et mis au ban de la société.

A l'école bourdonnante, on fait fi des menaces intempestives et la plupart du temps farfelues qui sont lancées à gauche comme à droite. On ose aborder des sujets controversés et les soumettre à la discussion. On encourage les élèves à interroger les faits et les événements. On leur apprend à débattre des enjeux sociaux, politiques ou autres. On leur enseigne que la vérité se cache souvent sous une épaisse couverture de pieuses mais peu catholiques intentions enrubannées dans de beaux discours, et qu'une recherche souvent longue et ardue est nécessaire pour la découvrir. On prête attention aux questions des élèves et à leurs interrogations, quelque audacieuses, osées ou difficiles qu'elles soient, et on les guide vers des ressources où il pourront trouver réponse. Aucun sujet n'est tabou. Chacune et chacun arrive à l'école avec son lot d'expériences et de connaissances qui doivent être prises en considération et respectées. Dans une école bourdonnante, on se méfie comme de la peste de la nouvelle religion qui a pour nom rectitude politique.

L'école libérée de la compétition
L'obsession de l'évaluation a comme conséquence que la compétition règne en maître à l'école ronronnante. La plupart du temps, il ne s'agit pas d'une compétition directe et agressive. C'est plus subtilement qu'elle se manifeste, comme un venin qui s'introduit dans un système, l'infiltre et finit par l'empoisonner entièrement. Les beaux et graves discours tenus, depuis des années, sur les bienfaits de la coopération ont peu influé sur la pratique quotidienne. Certes, il est de mise, dans beaucoup de classes, que l'on forme des équipes pour permettre aux élèves d'échanger des idées ou de résoudre un problème. Toutefois, cette façon de faire est souvent limitée dans le temps et s'applique à des apprentissages particuliers, en général ceux qui sont sans conséquence pour la notation. Les conseils de coopération sont aussi à la mode; un nombre de plus en plus grand d'enseignantes et d'enseignants utilisent ce moyen pour résoudre des conflits qui peuvent survenir dans la cour de récréation ou la classe ou encore pour discuter de relations interpersonnelles. Ces tentatives d'introduire de la coopération dans les classes sont louables, mais elles demeurent timides et circonscrites à certaines activités.

A l'école bourdonnante, la compétition est abolie. La coopération, l'entraide et les échanges de toutes sortes entre les personnes, jeunes ou adultes, sont au coeur de la vie quotidienne. Ils colorent les activités et les comportements, car tout est mis en oeuvre pour arriver à cette fin. Les élèves sont rapidement placés en situation de comprendre qu'ils apprendront davantage, plus vite et mieux, s'ils travaillent ensemble, s'ils acceptent de discuter et de mettre en commun leurs opinions et leurs idées, s'ils partagent leur savoir avec ceux qui ne le possèdent pas.

Dans cette école où les notes n'ont plus de signification, le travail en équipe plus ou moins grande est la règle. Ce sont les membres des équipes constituées sur une base volontaire qui établissent eux-mêmes la contribution de chacun et qui l'évaluent en cours de route et au terme de l'activité ou du projet réalisés. Le résultat obtenu est important, mais le sont autant, dans ce mode de fonctionnement, la démarche suivie, le degré d'engagement des membres de même que la prise en considération de leurs habiletés ou de leurs lacunes.

Dans cette école, on tente de montrer et de démontrer, au jour le jour, dans l'action et par l'expérience, qu'une société basée sur la coopération et l'entraide est plus juste, plus humaine, plus vivable que celle dans laquelle ils vivent, et qui est corrompue par le virus de la compétition forcenée. On essaie de détourner les élèves de la croyance que tout est monnayable et doit être monnayé, y compris le savoir, y compris la connaissance, y compris même les sentiments! On s'efforce, par tous les moyens, d'indiquer aux jeunes la voie vers une société à la mesure de l'humain, du moins cette sorte d'humain qui souhaite dépasser la simple condition animale! Homo homini lupus!

L'école libérée de sa pauvreté culturelle
La pauvreté culturelle de l'école ronronnante est navrante. Tous les efforts sont mis sur les apprentissages de base. Le temps est compté, cela a été souligné abondamment plus haut. Les programmes d'études sont en bonne partie responsables de cet état de choses. Hormis ceux qui portent sur les disciplines artistiques proprement dites, ils font peu de cas de la culture.

Il est peut-être utile, ici, de se poser la question de l'utilité de la culture pour le citoyen, jeune ou âgé. Fait-elle partie de ses besoins fondamentaux ou doit-on la considérer comme une sorte de plus-value intellectuelle, apanage d'une certaine élite? A quoi sert à la citoyenne ordinaire, à l'ouvrier, au manoeuvre, au travailleur d'usine, à la serveuse, au technicien de laboratoire, à la gérante d'une épicerie, à l'ingénieur-électricien d'être cultivé? En quoi cela améliore-t-il son sort? Très peu, à vrai dire, si l'on s'en tient aux activités courantes, c'est-à-dire à celles qui permettent de gagner le pain quotidien. Or, force est de constater, et cette constatation je l'ai faite souvent, que les gens de toutes conditions, de tout métier et de toute profession, aspirent à élargir leur horizon de connaissances de façon à pouvoir participer encore plus pleinement et plus activement à la vie en société. Chez tout humain, il existe un plaisir certain à découvrir le monde, à le comprendre, en parcourant son histoire d'hier à aujourd'hui.

Au fait, qu'est-ce au juste que la culture? Peut-on la réduire aux seules manifestations littéraires ou artistiques des décennies ou des siècles passés? En ce qui me concerne, ce concept englobe tous les domaines de l'activité humaine, dans ses dimensions innovatrices, créatrices et libératrices. C'est un concept pluriel, à la fois diachronique et synchronique. Il n'y a pas une culture, mais des cultures qui, produits de l'invention et de l'imagination, empruntent l'une à l'autre et s'interpénètrent. C'est ainsi que l'on peut parler de culture médiatique, cinématographique, littéraire, musicale, scientifique, théâtrale, informatique, historique ou philosophique. La liste pourrait s'allonger.

Cette parenthèse me paraissait nécessaire pour expliquer l'accent qu'une école bourdonnante doit mettre sur l'enrichissement culturel des élèves. Sa mission est de former des citoyennes et des citoyens éclairés, qui aspirent à autre chose que de se comporter en epsilons entre les griffes d'employeurs qui n'ont en tête que le profit et le gain de capital. A l'école bourdonnante, la culture n'est pas un luxe. Elle est au centre des apprentissages. C'est en fait sa substance. Les activités et les projets que les élèves de cette école choisissent de réaliser ont comme sujets ou thèmes l'une des différentes facettes de l'activité culturelle. Dans les unes et les uns, on s'intéresse aux médias, aux méthodes, aux tactiques et aux stratégies que l'on y utilise pour informer ou pour désinformer, pour convaincre, ou pour lessiver les cerveaux; on s'intéresse également à ceux qui les possèdent et à ceux qui en ont été ou en sont présentement les ténors. Dans d'autres, on privilégie comme champ d'études les grands courants musicaux, on étudie la vie des musiciens qui les ont illustrés et on écoute leurs oeuvres pour exercer son oreille à divers styles, rythmes et genres. Dans d'autres encore, on entreprend un voyage au fil de l'histoire pour en dénouer la trame et les intrigues, pour constater à travers les écrits et les documents qui sont restés que des personnes aux noms célèbres n'étaient au fond que des traîtres qui ont vendu leur peuple pour un plat de lentilles ou, pis encore, pour un titre honorifique.

A l'école bourdonnante, le curriculum est ainsi fait que tous les élèves ont tour à tour l'occasion, au fil des années, de se familiariser avec les différentes facettes de l'univers culturel. Ils sauront ainsi, en la quittant, qu'ils ne sont que poussière d'étoiles, que le monde est complexe, que les animaux pensants qu'il sont émergent de cette complexité et que la société dont ils font partie, dont ils sont les acteurs, représente un niveau de complexité encore plus élevé. Ils auront appris que des hommes et des femmes de tous les continents et de toutes les époques ont enrichi le patrimoine mondial grâce à leur travail, à leur génie inventif et, souvent, à leur acharnement. Et qui sait, ils auront peut-être rencontré sur leur route des modèles qui pourront les guider vers un monde plus humanitaire que celui d'aujourd'hui. Ils auront pris conscience sans doute que la planète Terre, qui leur a donné la vie, est un joyau rare, sinon unique, dans l'incommensurable Univers composé de millions de millions de galaxies et de milliards de milliards d'étoiles et d'astres de toutes sortes.

L'école libérée par les nouvelles technologies de l'information et de la communication
Ces nouvelles technologies ne sont pas une panacée. Elles ne possèdent pas la vertu magique que certains prosélytes de la machine veulent lui attribuer. Invention humaine, émergence de sa pensée créatrice, elles constituent toutefois, il serait naïf de le nier, de puissants instruments pour continuer la longue marche vers la conquête du monde.

L'école ronronnante tarde à mettre ces instruments à la disposition des jeunes. Tout se passe comme si, en ce faisant, les maîtres de cette institution craignaient de perdre leur emprise millénaire sur celle-ci. Dans une certaine mesure, en effet, l'informatique et Internet contribuent à la démocratisation de la communication en permettant à un nombre de plus en plus grand de citoyennes et de citoyens d'établir des liens horizontaux avec des personnes de tous les horizons, sans avoir à passer par les canaux officiels, avec le risque toujours présent de subir la propagande de ceux qui en sont les propriétaires. Ils ont sans doute peur aussi d'avoir à transformer leurs pratiques et leurs méthodes qui datent d'un autre âge.

A l'école bourdonnante, on considère comme une chance inouïe l'avènement des nouvelles technologies. On y voit une occasion unique de révolutionner une bonne fois l'enseignement dans l'optique d'une école libérée. On est excité à l'idée de pouvoir, grâce à elles, inventer et mettre en oeuvre une véritable pédagogie axée sur la «construction» du savoir. On imagine dans la ferveur, avec la complicité des élèves, des scénarios et des projets de toutes sortes en tenant compte des possibilités qu'offrent les logiciels disponibles, pour chercher des données, les compiler, les analyser, les mettre en forme ou les diffuser dans le monde. On se hâte de mettre en place les conditions qui favoriseront l'autonomie et l'utilisation maximale du temps et de l'espace par toutes et par tous. Les élèves, qui baignent depuis leur plus jeune âge dans l'univers de la technologie, ne sont que trop heureux de participer à l'effort que l'on consent pour eux et ne sont pas en reste lorsqu'il s'agit de planifier ou d'organiser une nouvelle activité.

Conclusion
Les lignes qui précèdent, on l'aura constaté, sont un plaidoyer en faveur d'une école transformée, renouvelée, d'une école dans laquelle on vit, on pense, on réfléchit, on construit, on invente, d'une école qui se doit d'être agent de changement du monde. C'est l'école bourdonnante. Je crois sincèrement qu'une telle école est possible, qu'il suffirait qu'on la choisisse pour qu'elle devienne réalité. Ce choix suppose l'adhésion de ceux et celles qui font l'école et de ceux et celles qui croient à des valeurs qui sont mises sous le boisseau en cette fin de millénaire gangrené par les forces capitalistes les plus sauvages, ferment de l'individualisme et de la compétition à tout crin. C'est Gregory Bateson, célèbre anthropologue et touche-à-tout, père de l'école de psychologie de Palo Alto, qui, dans l'un de ses ouvrages 2 parlait d'écologie de l'esprit. Il est temps, pour que survive notre planète et nos enfants qui y vivront, que l'on se préoccupe au moins autant du développement de l'esprit, de la pensée, que de la pollution de l'eau ou du sol. Les problèmes environnementaux qui menacent notre petit monde ne pourront en effet être résolus que si les hommes et les femmes du millénaire qui va bientôt poindre pensent bien et se comportent un peu plus chaque jour en êtres humains.

Si l'on opte pour l'école ronronnante, les chances sont minces pour que la situation change, pour que s'arrête la décadence des sociétés, les nord-occidentales en particulier. Un coup de barre doit être donné et rapidement. Un virage véritable s'impose. Le temps n'est plus aux discours rassurants qui ne réussissent pas à choisir entre la chèvre et le chou.

Au terme du présent article dans lequel j'ai opposé, avec parfois un brin de sévérité et d'humeur, l'école bourdonnante à l'école ronronnante, je voudrais tout simplement inciter toutes celles et tous ceux qui partagent ma vision des choses à travailler avec vigueur et ferveur à la révolution de l'école. Car c'est bien d'une révolution qu'il s'agit.

Notes

1. GROUPE DE TRAVAIL SUR LA RÉFORME DU CURRICULUM. Réaffirmer l'école. Québec, ministère de l'Éducation du Québec, 1997, 151 p.

2. BATESON, Gregory. Steps to an Ecology of Mind, 6e édition. New York, Ballantine Books, 1977, 541 p.