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L'ordinateur à l'école, « qu'osse ça donne? »

Vol. 10, no 1, Novembre 1996

Voilà la question! les programmes d'études obligatoires comptent des centaines d'objectifs et le temps alloué pour les atteindre est déjà limité. Si |'utilisation de l'ordinateur en classe a comme conséquence de les obliger â rogner sur ce temps si précieux, il n'est pas étonnant que nombre d'enseignantes et d'enseignants hésitent à enfourcher la pouliche de.l'informatique. Cela sans compter que, très souvent, I'utilisation d'appareils désuets et branchés â-la-va-vite leur a causé plus de problèmes qu'elle ne leur a permis d'en résoudre!


On peut donc comprendre sans trop de difficulté leurs réticences â intégrer ce nouvel outil â leur pratique quotidienne. Ces réticences ne pourront tomber, à mon avis, que dans la mesure où l'on apportera une réponse à la question posée dans le titre qui coiffe ce texte. Les quelques réflexions qui suivent présentent, parmi d'autres, quelques éléments de cette réponse.


Un outil omniprésent


L'ordinateur est partout. À l'échelle du Québec, des dizaines de milliers de personnes l'utilisent régulièrement pour accomplir les tâches les plus diverses : dactylographie de textes, tenue de livres et d'inventaires, dessin de plans, gestion d'entreprises, petites et grosses (fermes, garages, usines, etc.). C'est un outil puissant dont on peut de moins en moins se passer. La nécessité s'impose donc d'elle›même de mettre cet outil à la disposition des élèves, et cela dès la première année de fréquentation scolaire, de façon à ce qu'ils puissent en découvrir toutes les possibilités, présentes et â venir. Présentes, pour leur faciliter l'accomplissement de tâches qu'ils doivent réaliser pour acquérir les connaissances et développer les habiletés sous-tendues par les objectifs des programmes d'études; à venir, pour leur permettre d'affronter avec confiance et compétence, lorsqu'ils seront devenus adultes, les défis de l'emploi et du marché du travail.


Les enfants manifestent une aisance remarquable face â l'ordinateur. Faut-il s'en étonner? C'est une invention de leur temps qu'ils n'ont pas à apprivoiser de longue main, comme nous les adultes. Je me souviens des appréhensions de mon père au moment où, au début des années 50, il s'apprêtait à utiliser, pour faire ses labours, un tracteur récemment acquis. On aurait dit que cette puissante et serviable machine lui faisait un peu peur, alors que moi, un jeunot de 12 ans â peine, fort emballé par cette petite merveille de cheval mécanique, j'apprenais à le commander en un tournemain. Tant et si bien d'ailleurs que mon père m'en confia bientôt l'exclusivité, je dois le dire, à mon grand ravissement!


Un outil aux multiples fonctions


L'ordinateur est un outil polyvalent. Grâce à des logiciels spécialisés, dont les fonctions ne cessent de s'accroître mois après mois, il permet de réaliser plus vite et mieux, une diversité grandissante de tâches complexes et souvent fastidieuses. Parmi ces logiciels, il y a ceux qu'on désigne sous l'appellation de logiciels-outils : traitement de texte, tableur ou chiffrier, base de données, éditeur graphique. lls constituent des aides précieuses lorsqu'il s'agit de structurer un texte, de faire des calculs, de réunir des éléments d'information, de les ordonner et de les classifier, d'exécuter des dessins, de réaliser des montages ou même de communiquer des messages. Les possibilités d'application de ces logiciels en classe sont nombreuses.


J'ai de bonnes raisons de croire – mon opinion n'étant toutefois fondée sur aucune recherche sérieuse – que jusqu'à ce jour la majorité des expériences d'application pédagogique de l'ordinateur dans les classes du primaire se sont limitées à l'utilisation de didacticiels. Mais pouvait-il en être autrement quand : dans la majorité des cas, les appareils mis à la disposition des élèves étaient désuets et peu performants; les systèmes d'exploitation dont étaient dotés ces appareils, désuets eux aussi, requéraient de la part de l'utilisateur la mémorisation de dizaines de codes; la formation nécessaire à une maîtrise minimale du fonctionnement de ces mêmes appareils et des logiciels disponibles faisait trop souvent défaut; trop peu de soutien pédagogique et technique était offert pour résoudre les problèmes inévitablement rencontrés lorsque des cohortes successives d'élèves hésitants se servent des mêmes machines?


Les didacticiels, exerciseurs et autres, peuvent certes permettre aux élèves d'effectuer certains apprentissages ou d'approfondir certaines notions. ll n'y a donc pas lieu de les éliminer de la classe ou du laboratoire. Les logiciels-outils sont plus riches en possibilités. Spécialement conçus pour faciliter le traitement de l'information de toute sorte, ils offrent une palette diversifiée d'usages pédagogiquement rentables.


Un outil qui favorise la concrétisation des orientations des programmes d'études


Les programmes d'études québécois se fondent sur un certain nombre de principes directeurs dont le plus important peut se résumer ainsi : amener l'élève à « construire » ses connaissances de façon de plus en plus autonome au fur et à mesure qu'il progresse dans ses apprentissages. L'application de ce principe n'est possible que si cet élève est placé, le plus souvent possible, en situation de chercher de l'information, de la traiter selon un but visé, pour en arriver, par essais et erreurs, à des généralisations ou à des synthèses qu'il pourra utiliser pour résoudre d'autres problèmes. Les logiciels-outils constituent autant de moyens puissants et modernes pour motiver l'élève à «construire » ses connaissances, c'est-à-dire à redécouvrir le monde, les règles et les principes qui le régissent.


En entrant à l'école, l'élève est convié à vivre une foule d'expériences appartenant au domaine intellectuel : lire, écrire, calculer, établir des liens entre des notions scientifiques ou des faits historiques. ll doit apprendre, entre autres choses, que les mots peuvent être représentés graphiquement à l'aide d'un nombre restreint de lettres et que ces mots, mis bout à bout, forment des phrases sensées à condition que certaines règles soient observées. Le traitement de texte peur se révéler un atout précieux pour amener l'élève, cela dès la maternelle, à « construire » des connaissances sur la langue, en composant des mots à partir des lettres, puis de courtes phrases, puis des textes entiers, en utilisant toutes les possibilités que lui offre cet outil: substitution ou effacement instantanés, correction orthographique et grammaticale, recours à des synonymes, etc. L'élève peut travailler à son rythme en multipliant les essais et en explorant, sans que cela ne devienne fastidieux, diverses façons d'exprimer sa pensée. Il peut même, d'un simple clic de souris, illustrer son texte de dessins de son crû ou l'agrémenter d'un schéma ou d'un tableau qu'il a réalisé à l'aide de l'éditeur graphique ou du tableur.


Les enseignantes ou les enseignants qui se sont déjà engagés dans la voie d'une pédagogie qui prend appui sur des projets ne tarderont pas à apprécier l'apport des logiciels-outils. lls leur trouveront rapidement des applications qui contribueront à rehausser la motivation des élèves et la qualité de leurs apprentissages.


Un défi de taille


Une chose est certaine toutefois, pour que l'intégration de l'ordinateur en classe devienne un gage d'efficacité pédagogique, il sera indispensable que les enseignantes et les enseignants changent des habitudes et prennent des risques, entre autres, celui de dégager les programmes d'études de leur carcan d'objectifs dont le découpage excessif frise l'anti-pédagogie. Le défi est de taille! Mais l'intégration des TICS aux activités d'enseignement ne pourra se réaliser que si les professionnels de l'enseignement – comme on dit les professionnels de la médecine ou du droit – prennent les choses en main et misent à plein sur leur compétence et leur expérience pour transformer le décor de la classe et de l'école. Les programmes d'études indiquent une direction à suivre, un but à atteindre. C'est à l'enseignante ou à l'enseignant qu'incombe la responsabilité du voyage qui doit conduire les membres de sa petite troupe à ce but. Sa mission est de former des jeunes et non de « faire » des objectifs, comme je l'ai déjà écrit ailleurs.


Former des jeunes, c'est avant tout les aider à comprendre, dans l'action, à travers de nombreuses expériences, le monde dans lequel ils vivent, en les aidant à se servir des outils les plus efficaces pour ce faire. Les outils informatiques sont de ceux-là. On ne peut les ignorer à l'aube du XXIe siècle, car la génération montante nous le reprocherait amèrement et avec raison dans cinq ou dix ans.


Le plan d'action du MEQ : une occasion rêvée de passer à l'action


Le plan d'action ministériel annoncé en juin dernier fournit aux enseignantes et aux enseignants l'occasion de s'engager résolument dans la voie de l'intégration des TICS à l'école. Les allocations que le MEQ versera aux commissions scolaires au cours des cinq prochaines années permettront aux écoles qui auront défini leur plan d'acquérir des équipements dotés de systèmes d'exploitation faciles à utiliser [tel Windows) de même que d'un ensemble intégré de logiciels-outils (tel Claris Works, par exemple). Il est à espérer que les enseignantes et les enseignants de toutes les écoles du Québec saisissent cette occasion et insistent auprès des autorités de leur commission scolaire pour qu'eIles leur accordent le temps nécessaire à une réflexion sérieuse, préalable indispensable à l'élaboration d'un plan d'école bien pensé qui se fonde sur une vision à long terme. Â ce sujet, on ne saurait trop insister sur la nécessité pour les enseignantes et les enseignants qui collaboreront à l'élaboration du plan de leur école de prévoir tous leurs besoins en matière de soutien pédagogique et technique. L'intégration des TICS à leur pratique quotidienne ne pourra se réaliser que :

-s'ils possèdent une connaissance suffisante du fonctionnement des appareils mis à leur disposition et à celle des élèves, ainsi que des différentes fonctions et possibilités des logiciels disponibles;

-si le parc informatique est en bon état et que les mesures sont prises pour corriger sur place et sans délai les problèmes qui surviennent infailliblement (pannes, bogues) lorsque treize paires d'élèves sont attablés devant autant d'ordinateurs.


En guise de conclusion...


l.'autre soir, en visite chez un parent, i'observais par-dessus mon épaule, tout en conversant avec celui-ci, son jeune fils en train de dessiner à |'aide de l'ordinateur. Qu'il était beau à regarder, concentré sur la tâche qu'il prenait un plaisir évident à accomplir! Il rayonnait de satisfaction pour ainsi dire. De sa menotte bien assurée, il conduisait la souris avec une maîtrise étonnante tout en fixant le pointeur sur l'écran. Je ne pus m'empêcher de faire part à mon hôte de la fascination que ce petit travailleur exerçait sur moi et nous passâmes les minutes suivantes à l'épier en silence avec une moue d'admiration.


Pierre-Alexandre n'a que cinq ans. Il sera en maternelle cette année. Je me disais, en quittant ce parent, qu'il serait bien dommage que |'école n'offre pas à cet enfant la possibilité de développer à plein son potentiel en mettant à sa disposition cet outil unique qu'est l'ordinateur. Et je |'enviais d'être né au bon moment pour profiter de cette invention.