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Apprendre dans un environnement stimulant :

mission impossible?

   No 95, septembre-octobre 1995

L'éducation est l'affaire de tout le monde. C'est probablement pour cette raison que chacun se croit compétent pour critiquer les pratiques existantes et proposer des modèles ou des méthodes d'enseignement propres à corriger les lacunes réelles ou inventées de notre système d'éducation. Plus souvent qu'autrement, les agents d'éducation sont mis au pilori et lapidés sans ménagement. Dans cette cacophonie de lamentations qui sont souvent teintées de mépris, les enseignantes et les enseignants sont malmenés de façon particulière. Comme l'âne de la fable, ils sont accusés de tous les maux et condamnés sans autre forme de procès. Le plus navrant, c'est que, malgré leur nombre, ils ne réagissent pas à ces accusations. S'ils osent parfois relever la tête, ils le font de façon bien timide et souvent maladroite.

Selon le discours dominant, le remède à l'échec et au décrochage devrait passer par un retour aux valeurs sûres et à un enseignement qui se fonde sur la tradition. L'idéal du magister qui pérore devant une classe d'élèves sages buvant pieusement ses paroles, se laissant gaver à satiété, comme le phénix, renaît périodiquement de ses cendres. Il n'est pas aisé de sacrifier les veaux d'or devant lesquels on nous a forcés à nous prosterner notre enfance durant. Il est plus que curieux que, les ayant souvent honnis dans notre jeunesse, nous soyons parfois si prompts à les réinstaller sur leur piédestal.

Loin de moi l'idée qu'il faille renier et rejeter en bloc les fondements et les principes d'une pédagogie longuement forgée au cours des siècles et qui a lentement évolué grâce à l'apport d'éminents penseurs et pédagogues. Les modes passent mais la pédagogie demeure. Les idéologues en particulier ont cette fâcheuse tendance à « jeter le bébé avec l'eau du bain ». Les façons de faire du passé ne sont pas toutes inefficaces et improductives, tout comme beaucoup d'innovations n'assurent pas toujours la rentabilité espérée.

Cependant, aux détracteurs perpétuels d'une pédagogie moderne qui favorise l'action et l'autonomie de l'enfant, il faut rétorquer avec force que la société nord-américaine s'est considérablement transformée au cours des dernières décennies et que les sciences de l'éducation ont largement bénéficié des nombreuses recherches sur l'apprentissage, qu'elles soient du domaine de la didactique, de la psychologie, de la sociopédagogie, voire de celui de la neurologie ou de la biologie.

L'univers dans lequel vivent les jeunes de cette fin de siècle est fort différent de celui dans lequel nous évoluions il y a à peine 30 ou 40 ans. Les moeurs et les habitudes de vie ont changé de façon radicale. Les moyens de communication ont réduit la planète à un gros village. La société de consommation à outrance que nous leur avons léguée, ils veulent en profiter à plein.

Depuis les philosophes et les pédagogues grecs, en passant par Alain, Dewey, Montessori, Freinet, Piaget et une pléiade d'autres penseurs et chercheurs modernes sur l'éducation, la pédagogie, c'est-à-dire l'art d'enseigner, de transmettre aux jeunes culture, science et technique, a sans contredit évolué. On n'a plus de l'enfant et de l'enfance la même vision qu'il y a quelques siècles ou même quelques décennies. Partant des intuitions d'autres pédagogues, Piaget a montré et démontré une fois pour toutes que l'apprentissage véritable ne peut être que le résultat d'une expérience personnelle, d'une démarche active et autonome qui prend ses racines dans les gènes. Le petit de l'homme et de la femme est pour ainsi dire biologiquement construit pour apprendre, à condition toutefois qu'il soit mis en contact avec le monde et qu'il puisse, par le moyen de l'expérimentation, d'essais, de réussites ou d'erreurs, « l'assimiler », le faire sien. Des livres récents sur l'enseignement stratégique, tel celui de Jacques Tardif1, rendent compte de cette nouvelle conception de l'apprentissage en l'illustrant d'exemples concrets.

Cette digression qu'on pourra trouver un peu longue m'amène au vif du sujet : apprendre dans un environnement stimulant. Lapalissade, cet énoncé? Est-il possible de concevoir, compte tenu de ce qui précède, que des apprentissages sérieux et durables puissent être effectués dans un environnement pauvre et peu propice à susciter l'intérêt?

Et pourtant...

Quelques obstacles

Les enseignantes et les enseignants qui souhaitent créer un environnement stimulant pour leurs élèves et transformer leur classe en un lieu riche en occasions de favoriser leur engagement doivent surmonter quelques obstacles. Il serait illusoire et néfaste d'en sous-estimer l'importance, comme il arrive trop souvent, en dissimulant la poussière sous le tapis.

D'abord, il y a les programmes d'études : chacun est découpé en tranches de menus objectifs qui se comptent par centaines pour chaque classe du primaire. Ce n'est certes pas une mince affaire que de jongler avec cette pléthore d'objets disparates et de tenter de les assortir au mieux pour en faire un tout cohérent qui se prête à l'exercice d'une activité significative. Le rôle nommément assigné aux enseignantes et aux enseignants est d'assurer que tous les objectifs sont atteints dans le temps imparti. Déroger à cette mission première représente pour elles et eux une tricherie et les conduit à constamment mettre en cause leur compétence et la qualité de leur engagement. La tentation est alors grande de s'attacher à la lettre d'un programme plutôt qu'à son esprit. La lettre, on le sait, tue : dans beaucoup de cas, du moins, elle étouffe la flamme des plus nobles ambitions!

Et que dire des calendriers et des horaires qui transforment le temps si précieux en minces retailles qu'il faut assembler et désassembler sans relâche, au gré des jours, des semaines et des étapes. Est-il bien raisonnable d'entreprendre des activités de longue haleine dans un univers géométrique découpé au couteau et ponctué de cloches et de sonneries de toutes sortes? Dans ces conditions, il n'est pas étonnant qu'on préfère s'en tenir à des activités ou à des exercices brefs qui servent davantage à meubler le temps qu'à susciter de véritables défis intellectuels!

Puis il y a les différences individuelles. Une classe composée de 25 ou 30 élèves est un univers complexe : certains élèves sont faciles à intéresser et à stimuler, d'autres pas; certains élèves progressent plus rapidement que d'autres; il y a ceux qui ont des problèmes personnels; il y a ceux qui sont indisciplinés et qui dérangent; il y a ceux encore qui sont à l'aise avec les notions abstraites; il y a les autres qui ont besoin de voir, de toucher, de manipuler, d'expérimenter. Pour les enseignantes et les enseignants, créer un environnement stimulant suppose une habileté toute particulière à tenir compte de façon dynamique de ces traits disparates, souvent difficiles à conjuguer.

On pourrait allonger la liste : les divers éléments perturbateurs qui ponctuent l'année scolaire, la pauvreté ou la désuétude du matériel et de l'équipement, les contraintes liées à l'évaluation et à la notation des apprentissages.

Par-delà les discours nobles et généreux sur l'éducation et l'apprentissage, on est bien forcé d'admettre qu'il y a loin de la coupe aux lèvres.

Et pourtant...

Du difficile au possible

Il se trouve, et en quantité, des enseignantes et des enseignants qui, ayant cessé de douter de leur compétence et manifestant un certain penchant pour la subversion, ont de longue date surmonté ces obstacles pour, comme le disait ma mère, « les mettre à leur main ». Le fait est qu'ils ne pourraient exercer leur métier sans imprimer à leur enseignement une certaine « rondeur ». Ils possèdent, comme on dit, leur matière; c'est pourquoi ils ne craignent pas « de couper les coins ronds » pour aller à l'essentiel. Ils ne se sentent pas coupables non plus de perdre un peu de temps en digression pour piquer la curiosité ou lier une notion aride à la réalité de la vie quotidienne. Comme cet abbé sexagénaire de mes 15 ans qui, au lieu de nous débiter page après page le manuel d'histoire générale, occupait tout le temps des cours à nous raconter ses expériences de prêtre colonisateur en Abitibi, à nous entretenir de son séjour à Rome à l'époque du fascisme ou encore à nous parler de la naissance du coopératisme au Québec et de ses conséquences. « Le manuel, nous répétait-il souvent, vous êtes bien assez débrouillards pour le lire sans mon aide! » Je crois que sa façon peu orthodoxe d'enseigner l'histoire m'a marqué comme elle a marqué tous mes confrères de classe. Notre attitude à tous, en ce qui concerne cette matière, s'est transformée, a évolué : avec lui, l'histoire devenait vivante, enracinée dans la réalité. Avec lui, nous tous, ses élèves, nous avons appris au moins une chose, soit à apprécier l'histoire, non seulement comme un objet d'étude, captivant en lui-même à certains égards, mais surtout pour en tirer des leçons salutaires pour le présent et l'avenir. Le reste, soit les noms, les dates, les événements, n'est que littérature.

Ces enseignantes et ces enseignants sont curieux et ne peuvent s'empêcher de faire partager leurs goûts, leurs champs d'intérêt, leur culture à leurs élèves. Qu'il s'agisse de musique moderne ou classique, de théâtre, d'oeuvres littéraires, de passe-temps, ils trouvent toujours l'occasion propice pour introduire dans leurs cours des exemples, des anecdotes, des illustrations qui épatent, étonnent, provoquent les élèves. Ils acceptent de perdre un peu de temps pour leur faire écouter des morceaux qui les ont eux-mêmes émus, pour leur lire des extraits qu'ils ont particulièrement goûtés, pour leur montrer des oeuvres plastiques qui les ont touchés, pour leur poser une énigme, pour les faire réfléchir sur un proverbe, une pensée, une maxime, pour les éveiller à la justesse ou à l'originalité d'une comparaison, d'une métaphore. J'ai eu un « prof » comme ceux-là. Il ne commençait jamais un cours sans nous « mettre en train ». Un jour, il affichait au mur la reproduction d'un tableau de Van Gogh; un autre jour, il nous faisait écouter un extrait de Porgy and Bess; le jour suivant, il nous lisait un extrait de roman. C'était sa façon à lui de créer dans nos esprits de petits béotiens le déséquilibre cognitif que la psychologie moderne affirme nécessaire à l'apprentissage. Curieusement – est-ce pure coïncidence? – les problèmes de discipline étaient inconnus dans sa classe, même s'il n'avait rien du tyran ou du bourreau, bien au contraire.

Ces mêmes enseignantes et enseignants ne se gênent pas pour introduire dans leur classe journaux, revues, films, vidéos : leurs élèves ont besoin, pour vivre, de respirer l'air de l'extérieur, de connaître et de comprendre les événements qui composent leur quotidien. Ceux-ci s'attendent à voir l'adulte qui leur fait face les aider à les interpréter, à les mettre en contexte, à en découvrir les causes, à en tirer les conséquences. Ils souhaitent qu'il joue à plein le rôle de médiateur qui est le sien, pour donner sa vision des choses, vision éclairée par l'expérience et une connaissance plus approfondie de la réalité.

Les manuels scolaires ou autres documents approuvés par le Ministère font partie, bien sûr, de la panoplie d'ouvrages utilisés par ces enseignantes et ces enseignants qui, naturellement, savent créer un environnement stimulant, mais ces ouvrages, si complets et si attrayants soient-ils, ne peuvent satisfaire à combler l'appétit des jeunes gavés d'information et de messages dont la présentation dynamique fait appel aux moyens techniques les plus sophistiqués. Les manuels sont des objets fermés, linéaires, qui se réfèrent à un contenu essentiel, proprement scolaire, et qui connotent souvent la facette terne de l'école-usine-à-remplir-les-cerveaux. Il en faut davantage pour créer un environnement stimulant. Par exemple, regarder un court film peut permettre d'en apprendre beaucoup plus sur un phénomène climatique que lire un long article sur le sujet. Puis chaque école dispose d'une bibliothèque dont les ressources peuvent être exploitées pour compléter ou enrichir les apprentissages dans de nombreuses matières. De même, dans le lot des activités économiques ou artistiques locales, certaines offrent de multiples occasions d'enrichissement : on n'en tient pas compte trop souvent. Il est singulier qu'on se déplace sur une longue distance pour voir une attraction, alors qu'on n'a jamais pris la peine de visiter le musée local.

Ces enseignantes et ces enseignants jaloux de leur autonomie consacrent plus de temps aux activités d'apprentissage qu'aux tâches évaluatives. Ils sont là pour assurer la réussite de l'élève et se jugent capables de suivre son cheminement sans avoir recours à une série d'épreuves et à des grilles de correction compliquées. Ils s'en tiennent à l'esprit de l'évaluation formative et font une grande place à l'observation pour évaluer les progrès et les difficultés de chacun. Ils s'assurent que les épreuves qu'ils préparent et font passer mesurent bien les apprentissages visés. Et lorsqu'ils passent à l'étape de la correction, c'est avec le souci de déceler les problèmes soulevés individuellement ou collectivement et non de classer l'élève selon une échelle quelconque. Pour eux, l'interprétation des résultats est capitale, car, au-delà de la mesure du progrès des élèves, elle leur permet de rajuster leur action ou de modifier leurs « stratégies », au besoin.

Ils ne craignent pas non plus, ces enseignantes et ces enseignants, de proposer des projets à leurs élèves, projets de plus ou moins longue haleine, qui font appel à des habiletés ou à des compétences diverses qui dépassent les objectifs des programmes d'études. Des projets qui présentent de multiples défis, qui favorisent la coopération, le travail en équipe, l'entraide. Le développement de ces attitudes et de ces comportements, si importants dans la vie courante d'un adulte, est fréquemment négligé à l'école. C'est pourtant grâce à de tels projets qu'il est possible de susciter l'engagement total des élèves, parce que les tâches qui leur sont proposées sont significatives. Puis, très souvent, la réalisation de ces projets exige la participation active de parents ou d'autres personnes de la communauté, experts en certaines matières ou occupant des métiers particuliers. Il n'existe pas de meilleure façon de combler le fossé entre l'école et la communauté.

Ces enseignantes et ces enseignants engagés comptent souvent parmi les premiers à s'intéresser aux innovations en matière de formation et d'information et à les utiliser pleinement. Ils sont conscients que l'informatique ou la télématique peuvent constituer des moyens d'apprentissage puissants, d'autant plus qu'ils suscitent un intérêt manifeste et durable chez tous les jeunes. La raison en est probablement que les défis que ces moyens posent à l'intelligence se multiplient au rythme même de leur évolution fulgurante. La révolution informatique est incontournable, car elle transforme en profondeur les façons de faire et parfois même les habitudes de vie. L'informatique met à la disposition du commun des mortels toute une panoplie de logiciels qui permettent de résoudre des problèmes ou d'effectuer avec célérité et précision des travaux complexes. Tout en prenant bien garde de la considérer comme LA nouvelle panacée, garante de toutes les réussites et de tous les progrès, ces enseignantes et ces enseignants modernes, au sens mélioratif du terme, ne ménagent aucun effort pour que tous leurs élèves bénéficient de cet élément fondamental d'un environnement riche et stimulant.

Ces enseignantes et ces enseignants n'ignorent pas non plus que leurs comportements et leurs attitudes à l'égard de l'apprentissage, de la science et de la culture comptent parmi les facteurs les plus favorables pour créer un environnement stimulant. Animateurs, médiateurs, ils sont là pour donner vie, prégnance aux concepts, aux notions, aux faits, aux événements qui composent les programmes d'études. « A l'esprit de géométrie» et « à la raison droite », ils opposent « l'esprit de finesse » et « la pensée oblique ».2 Ils sont à l'écoute, capables de souplesse pour s'ajuster à toute situation. Ils font preuve de ruse, multipliant les stratégies, les astuces pour rendre une notion aride intéressante, pour concrétiser un problème abstrait. Ils font appel à l'esprit de coopération, ils encouragent l'entraide. Ils vantent les vertus de la connaissance, mais en conservant une attitude critique quant à l'utilisation qu'on peut en faire. Ils tiennent compte des différences individuelles en faisant appel à des moyens variés pour répondre aux besoins de celles et ceux qui ont besoin, pour apprendre et comprendre, de voir, de toucher, de manipuler, d'avoir accès à des exemples, à une démonstration. Ils encouragent la réussite, mais sans miser sur un climat de compétition indu. Ils sont sensibles aux problèmes des élèves, à leurs difficultés scolaires ou personnelles et savent trouver le bon mot ou le bon moyen pour les réconforter. Ils sont capables d'humour et acceptent d'être mis en question ou contestés.

Les objets qui composent l'environnement d'une classe ou d'une école peuvent être variés à l'infini et posséder toutes les caractéristiques d'un environnement stimulant, mais ils demeurent vides de sens s'ils ne sont pas « animés » par des personnes clairvoyantes, soucieuses d'aider les jeunes à s'engager avec confiance et résolution sur le chemin parfois sinueux de l'apprentissage.


À la recherche d'un équilibre

La voie qu'empruntent les enseignantes et les enseignants décrits ci-dessus n'est pas la plus facile. Les finalités de l'éducation, souvent discutées, sont loin d'être définies avec toute la limpidité qu'on pourrait souhaiter. D'une part, on trouve les tenants d'une pédagogie centrée sur l'enfant, qui mise sur sa capacité à apprendre, la présence de l'adulte se limitant le plus souvent à l'aiguillonner, à le placer en situation d'apprendre à apprendre. A cet égard, s'il est une vérité qu'un enseignant ne doit pas oublier, c'est que, malgré tous ses efforts, il ne peut apprendre à la place d'un élève. L'acharnement pédagogique donne rarement les résultats escomptés.

D'autre part, il y a les propagandistes d'une école géométrique, disciplinée, axée sur les contenus et sur la seule performance scolaire. Ce modèle d'école est quotidiennement vanté sur toutes les tribunes radiophoniques et télévisuelles.

La dichotomie entre ces deux conceptions de la pédagogie n'est peut-être pas réelle, mais elle transparaît pourtant clairement dans les discours des uns et des autres. Il est toutefois indéniable que les conséquences de cette souque à la corde idéologique sont néfastes pour la pratique pédagogique. La recherche d'un équilibre ne serait-il pas de loin préférable à ces perpétuels tiraillements qui sèment la confusion et contribuent à inhiber l'action?

Car on peut supposer que les enseignantes et les enseignants qui croient à la vertu d'un environnement stimulant, qui favorisent une pédagogie faite de rondeurs et de finesses, ne négligent pas pour autant les apprentissages de base et peuvent avoir recours, lorsque la situation s'y prête ou l'impose, à des activités ou à des exercices formels tels la dictée, l'analyse logique ou la mémorisation. Esprits libres et critiques, ils ne s'embarrassent pas trop des dogmes ou des théories à la mode. Mais en tout état de cause, ils possèdent la compétence et l'assurance pour maintenir l'équilibre entre des positions extrémistes, souvent présentées comme contradictoires. Ils savent qu'une fois qu'ils ont convaincu les élèves du plaisir d'apprendre, le choix des moyens importe peu et que les plus rebutants peuvent sembler une sinécure. Le plaisir, Henri Laborit le rappelle dans tous ses livres, est en quelque sorte le moteur de l'action : on est disposé à bien des fatigues, contrariétés, efforts pour se le procurer : « Lorsqu'il (l'être vivant) rencontre des objets ou des êtres avec lesquels il se fait plaisir, il va répéter la stratégie qui l'a contenté [...]. S'ils sont douloureux, il va fuir. Quand il ne pourra ni fuir ni lutter, il entrera en inhibition de l'action » (à l'origine du stress pervers et de nombreuses maladies, selon ce biologiste)3.

Entre l'assurance et la subversion

Les contraintes du système scolaire sont nombreuses. C'est pourquoi l'exercice du métier de pédagogue suppose une dose certaine d'assurance et d'un brin d'esprit subversif. La latitude d'action dont il dispose en classe, il peut l'utiliser pleinement pour aménager le temps de la façon la plus efficace possible. Il peut aussi apparier les objectifs à atteindre selon une séquence autre que celle prévue par les programmes, lorsque cela lui paraît plus approprié. Il peut aussi substituer certains objectifs qu'il juge accessoires par d'autres qui lui paraissent essentiels. Il peut s'éloigner de la démarche préconisée si la sienne, enrichie par des années d'expérience, lui semble mieux adaptée. Il peut favoriser certains types d'activités au détriment d'autres généralement recommandés par les spécialistes. Sa mission est d'éduquer, d'instruire en tenant compte d'un certain nombre de paramètres et d'objectifs et, comme professionnel, il est le premier responsable des moyens à prendre pour mener à bien cette mission.

En agissant ainsi, il devra bien sûr s'attendre à faire face à certaines contraintes. Il sera peut-être isolé pour un temps ou considéré comme un empêcheur-de-tourner-en-rond. On pourra le considérer comme un gêneur parce qu'il quémande du matériel ou des services ou tout simplement parce qu'il fait les choses autrement. Il n'est pas facile de mettre au pas les vieilles habitudes et de transformer les mentalités surannées. Il revient aux maîtres d'oeuvre de l'éducation de prendre les choses en main.

Si l'on se fie aux efforts que la très grande majorité des enseignantes et des enseignants consacrent à leur mission, il ne fait aucun doute qu'ils sont convaincus de la nécessité de créer un environnement riche et stimulant pour leurs élèves. Le problème c'est qu'ils n'osent pas s'engager trop loin dans cette voie à cause de contraintes diverses, ministérielles et locales. Ce faisant, ils renient les fondements de leur motivation à enseigner. Ils se sentent placés au rang de simples exécutants. La réflexion proposée dans cet article avait pour but de les rallier à l'idée que, moyennant une plus grande assurance, sur le plan tant individuel que collectif, il leur est loisible de transformer leur classe en des lieux d'apprentissage riches et stimulants, garants de la réussite éducative des élèves, mais surtout de leur épanouissement comme citoyens et citoyennes de demain. Surtout si l'on souhaite, comme société, que l'école soit davantage que le lieu fait d'objectifs scolaires à atteindre

Notes

1. TARDIF, Jacques. Pour un enseignement stratégique, Montréal, les Éditions Logiques, 1992, 474 p.

2. GAUTHIER, Clermont. Les amants de Mètis ou les ruses du pédagogue. Vie pédagogique, n° 66, avril 1990, p. 16.

3. LABORIT, Henri. L'esprit du grenier. Montréal, Les éditions de l'Homme, 1992, p. 77.